Examen objectif de la situation
La pauvreté, les inégalités et l'exclusion sont des facteurs clés qui contribuent aux effets dévastateurs de la COVID‑19 sur tous les pays africains. Des problèmes tels que la fragilité des systèmes de santé, l'insécurité alimentaire et l'étendue des économies informelles font de la situation bien plus qu'une crise sanitaire et économique massive. La COVID‑19 est une crise du développement fondamentale pour l'Afrique.
Un rapport récent de McKinsey met en évidence l'impact considérable de la COVID‑19 sur les économies africaines – constatant le ralentissement de la croissance économique, les pertes d'emploi et de productivité et les faillites. Point important, l'analyse indique aussi que les fermetures d'écoles et d'universités auront une incidence sur la capacité future en ressources humaines et devraient affecter en particulier les filles, dont certaines pourraient ne pas retourner à l'école.
L'interaction entre le genre et la pandémie est particulièrement importante en Afrique. Dans de nombreux pays, le personnel de santé (personnel infirmier) est majoritairement composé de femmes, lesquelles sont aussi majoritaires parmi les prestataires de soins de santé à domicile.[1] Les négociants du secteur informel, et en particulier ceux qui exercent des activités transfrontières, sont principalement des femmes. Les rôles des femmes dans l'agriculture varient d'un pays à l'autre; dans certains pays comme l'Ouganda, la Tanzanie et le Malawi, la part de main‑d'œuvre féminine dans la production végétale est supérieure à 50%.
La Directrice régionale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l'Afrique, Matshidiso Moeti, a déclaré: "pour que les mesures de restriction sociale soient efficaces, elles doivent être accompagnées de mesures de santé publique fortes, soutenues et ciblées qui permettent de localiser, d'isoler, de tester et de traiter les cas de COVID‑19". Des mesures nationales de confinement ont été mises en œuvre dans un certain nombre de pays africains, dont le Kenya, l'Ouganda, la République du Congo, le Botswana, le Zimbabwe et l'Afrique du Sud.
Les règles de confinement initiales strictes imposées en Afrique du Sud ont été assouplies lorsqu'il est devenu évident qu'un confinement total n'était pas possible. La distanciation sociale, les mesures de confinement et les recommandations visant à se laver régulièrement les mains n'ont pas beaucoup de sens lorsque votre ménage n'a pas accès à l'eau courante. Si, en plus de cela, vous vivez avec les membres de votre famille élargie dans une petite cabane en tôle ondulée, vous dépendez tous du revenu que votre mère perçoit grâce au commerce transfrontières.
Les mesures de confinement, de distanciation sociale et autres, qui incluent des restrictions commerciales, visant à limiter la transmission du virus entraînent aussi des pertes de revenu et d'emploi, ainsi que la fermeture des petites entreprises vulnérables. Faciliter le commerce et réduire ses coûts grâce à des mesures de sécurité appropriées devrait constituer un objectif stratégique essentiel.
L'effet pernicieux des obstacles non tarifaires (ONT) sur le commerce intra‑africain dépasse largement celui des obstacles tarifaires. Les responsables politiques ne devraient pas créer d'ONT non nécessaires pendant la crise et la COVID‑19 devrait nous inciter à chercher des solutions numériques pour réduire les coûts des transactions commerciales.
La COVID‑19 et le commerce intra‑africain
Le commerce intra‑africain reste faible par rapport à d'autres régions. Les exportations africaines sont essentiellement constituées de produits de base tels que le pétrole, les minéraux, le cacao et le café; on peut donc s'attendre à ce que, dans un avenir prévisible, l'Afrique continue d'échanger principalement avec ses partenaires commerciaux mondiaux. Le ralentissement de la croissance à l'échelle mondiale entraînera une baisse des recettes d'exportation.
En 2018, 15% des exportations totales de l'Afrique étaient destinées à d'autres pays africains. L'Afrique du Sud est un moteur essentiel des exportations intra‑africaines puisqu'elle en représente 34%. Le secteur sud‑africain de la distribution (logistique, services de transitaires, commerce de gros et de détail) joue un rôle important dans les exportations de produits agricoles et industriels du pays, notamment en Afrique orientale et australe. Environ deux tiers du commerce intra‑africain s'effectue au sein de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et environ la moitié au sein de l'Union douanière d'Afrique australe (SACU).[2]
À l'heure actuelle, l'intégration profonde de l'Afrique du Sud au sein de l'Afrique australe en particulier rend la région très vulnérable à toute mesure commerciale adoptée par le pays. Les retards aux frontières et les restrictions à l'exportation[3] auront une incidence sur les chaînes d'approvisionnement vitales dans l'ensemble de la région et exacerberont l'impact de la COVID‑19 sur les économies voisines fragiles. Cela pourrait bien avoir comme effet secondaire de générer une nouvelle vague de migration vers l'Afrique du Sud, où les personnes laissées sans ressources viendraient chercher de nouvelles sources de revenu.
Commerce transfrontières informel
Généralement, les estimations du commerce intra‑africain n'incluent pas le commerce transfrontières informel.
Les études menées sur l'ensemble du continent indiquent que le commerce transfrontières informel est substantiel et qu'il englobe à la fois les produits agricoles et les produits industriels.
Le commerce transfrontières informel est rarement illégal. Étant donné le manque de possibilités d'emploi formel dans la plupart des pays africains, les activités économiques informelles sont les seules possibilités de revenu viables. Les droits de douane, les règles d'origine complexes et d'autres obstacles non tarifaires liés aux procédures douanières font du commerce transfrontières informel une possibilité commerciale privilégiée. Le temps nécessaire pour se conformer aux procédures est aussi un facteur important pour les négociants du secteur informel. À cause d'un accès insuffisant au crédit, les négociants doivent traverser régulièrement les frontières − toutes les semaines, voire tous les jours − pour assurer un revenu fiable à leur ménage. Pour les clients, en période de crise alimentaire, le commerce transfrontières informel est souvent plus fiable que l'aide alimentaire publique.
Depuis 2005, le Bureau ougandais de la statistique et la Banque d'Ouganda réalisent des études sur le commerce transfrontières informel avec les pays voisins d'Afrique de l'Est. L'étude de 2016 conclut que ce type de commerce représente 25 à 40% des flux commerciaux intrarégionaux formels. Au sein de la SADC, il est également important, puisqu'il représente 30 à 40% de l'ensemble du commerce intra‑SADC, pour une valeur estimative de 17,6 milliards de dollars EU. Les négociants du secteur informel sont majoritairement des femmes; ces dernières en représentent plus de la moitié en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale et environ 70% en Afrique australe, d'après l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Il n'est pas surprenant qu'il y ait de plus en plus d'éléments indiquant que le commerce transfrontières informel joue un rôle important dans la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté.
Le commerce transfrontières informel inclut les produits agricoles (produits de base tels que le maïs, le riz et le soja), ainsi que les produits industriels (chaussures, vêtements). Certaines communautés économiques régionales, comme le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA), ont mis en place des régimes commerciaux simplifiés pour les petits négociants, tandis que d'autres, comme la SADC, ne l'ont pas fait.
La COVID‑19 est une bonne raison d'adopter des régimes commerciaux simplifiés dans les communautés économiques régionales où il n'en existe pas encore, ainsi que d'examiner et d'améliorer les régimes existants.
Mesures de politique commerciale en réponse à la COVID‑19
Il n'est pas souhaitable d'adopter des politiques protectionnistes, même dans les conditions les plus favorables, et encore moins en temps de crise. En réalité, si nous adoptons tous des politiques basées sur le principe du chacun pour soi, nous serons tous perdants. Cela ne fera qu'aggraver la crise et rendre la reprise plus difficile et plus coûteuse. Un commerce sans restriction permet de faire circuler les marchandises des endroits où elles sont en excédent vers ceux où on en manque. Cela est nécessaire, non seulement pour le matériel médical, les médicaments et le matériel de protection individuelle, mais aussi pour tous les autres produits. Le commerce des produits agricoles est bien sûr particulièrement important, notamment pour les ménages souffrant d'insécurité alimentaire en Afrique.
La Banque mondiale a publié une liste de mesures de politique commerciale à prendre et à éviter pour faire face à la COVID‑19. Les mesures à prendre incluent les mesures visant à faciliter le commerce en réduisant les droits de douane à zéro pour les produits médicaux liés à la COVID‑19 et les produits alimentaires, et en supprimant les restrictions quantitatives et les taxes à l'exportation. Les mesures à éviter incluent les restrictions commerciales visant à protéger une branche de production nationale et la fermeture des frontières. Il apparaît toutefois que la plupart des pays africains mettent en œuvre des mesures qui auront une incidence sur le commerce − y compris des restrictions à l'exportation visant des produits spécifiques et d'autres mesures à la frontière qui ralentiront le commerce et réduiront l'efficacité des chaînes d'approvisionnement.
On trouvera ci‑dessous une liste de mesures introduites par certains pays africains dans les aéroports, aux frontières et dans les ports (au 3 avril 2020).
Ces restrictions s'appliquent au commerce des marchandises, mais elles ont aussi une incidence sur le transport, la logistique et d'autres services. Cela nous rappelle que l'impact des restrictions commerciales se propagera à l'ensemble de l'économie. On peut s'attendre à ce que les coûts d'ajustement après la crise soient nettement plus élevés pour les pays en développement, et en particulier pour les pays les moins avancés (PMA), que pour les pays développés. Le fait que 33 des 47 PMA se trouvent en Afrique rend le continent particulièrement vulnérable, tant aujourd'hui qu'après la crise. Il est donc encore plus important pour les pays africains de se montrer prudents lorsqu'ils envisagent de prendre des mesures restrictives pour le commerce.
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[1] Le Burkina Faso, le Burundi, l'Égypte, l'Eswatini, le Ghana, le Nigéria, le Mozambique et le Kenya font partie des pays africains dans lesquels le personnel infirmier est majoritairement composé de femmes.
[2] Tous les États membres de la SACU (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Namibie et Eswatini) sont aussi membres de la SADC.
[3] Depuis le 20 mars 2020, un permis est requis pour exporter des masques de protection, des produits désinfectants, des solutions hydroalcooliques et de l'hydroxychloroquine. Pour plus de détails, voir: http://www.itac.org.za/upload/Covid-19%20Export%20Control%20Reg%2027%20March%202020.pdf. L'Afrique du Sud accorde également des remises (sous réserve de l'obtention d'un permis) pour les importations de produits essentiels, dont les préparations alimentaires, les médicaments et les fournitures médicales. Pour plus de détails, voir: http://www.itac.org.za/upload/Rebate%20Application%20(COVID-19).pdf.
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Trudi Hartzenberg est Directrice exécutive du Centre de droit commercial (tralac).
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