Tant que les inégalités entre les genres persisteront dans le commerce international et dans les principaux secteurs qui stimulent la croissance économique dans les pays les moins avancés (PMA), les femmes et les jeunes filles seront désavantagées par rapport aux hommes et aux garçons. Les inégalités sont souvent plus prégnantes dans les parties plus négligées du système productif – secteur informel, petites et micro‑entreprises, mais aussi fourniture par des particuliers de matières premières et de main d'œuvre – où les femmes sont très représentées.
C'est pourquoi plus de 60% des personnes soutenues par l'intermédiaire du Cadre intégré renforcé (CIR) sont des femmes, et c'est ce qui a motivé le lancement en 2019 de l'initiative Rendre les femmes plus autonomes, dynamiser les échanges. Une évaluation indépendante a été menée pour faire le point sur les progrès accomplis en faveur de la justice économique, là où les inégalités et la pauvreté sont les plus criantes.
Il en ressort trois enseignements majeurs.
Premièrement, l'importance d'une approche spécifique pour l'autonomisation économique des femmes par le commerce dans les PMA
Dans les PMA, il arrive que les trajectoires d'autonomisation économique par le commerce soient plus longues ou plus complexes, en particulier pour les femmes qui travaillent à la périphérie des chaînes de valeur, souvent pour fournir des matières premières ou dans des emplois de services moins rémunérés. Pour qu'elles atteignent les marchés internationaux, il faut souvent commencer par renforcer leur position sur les marchés intérieurs – et les investissements dans ces types de trajectoires ont joué un rôle important.
Par exemple, 50 coopératives ont été créées dans le cadre d'un plus vaste projet régional du CIR mis en œuvre par la Global Shea Alliance axé essentiellement sur les femmes, celles-ci représentant 98% des quelque 35 000 bénéficiaires au Bénin, au Burkina Faso, au Mali et au Togo. En plus de bénéficier d'une augmentation de leurs revenus et d'une amélioration de leurs compétences pour la production de beurre de karité et la gestion coopérative, les participantes ont déclaré qu'elles étaient davantage respectées au sein de leurs communautés et qu'elles pouvaient contribuer à couvrir les dépenses du ménage. D'un point de vue systémique, au lieu de travailler individuellement en récoltant peu de noix et en les vendant à bas prix, elles ont rejoint des coopératives formelles et vendent désormais des noix en plus grande quantité, à un prix plus élevé et sur la base d'un contrat. Des travaux de recherche ont montré que le karité était l'une des rares sources de revenus que les femmes contrôlaient directement. Cependant, il faudrait approfondir pour comprendre l'impact sur le revenu total des familles et sur le manque de temps dont souffrent les femmes.
On pourrait facilement penser que le soutien aux MPME dirigées ou détenues par des femmes a automatiquement des retombées positives pour l'ensemble de la chaîne de valeur, y compris pour les travailleuses à la périphérie ou dans des emplois peu rémunérés sans perspectives.
Il ressort pourtant de l'évaluation que ce n'est pas une évidence, car les femmes se heurtent à des obstacles différents selon où elles se situent sur la chaîne de valeur. Globalement, les projets ont permis de cibler les domaines dans lesquels elles avaient le plus besoin d'un soutien, mais à l'avenir cela pourrait être fait de façon encore plus stratégique, cohérente et expresse.
Deuxièmement, le rôle crucial de l'appropriation par les pays
Le lancement de l'initiative Rendre les femmes plus autonomes, dynamiser les échanges du CIR a souligné l'importance qu'il y avait à remédier aux inégalités entre les genres dans le commerce des PMA, en s'inspirant de l'expérience et des compétences de partenaires externes, tout en s'alignant étroitement sur les priorités nationales. L'établissement de liens entre des partenaires externes de mise en œuvre et des processus nationaux a été pour le CIR une expérience exceptionnelle, bien que parfois difficile. L'un des points forts du dispositif a été de permettre aux gouvernements nationaux de diriger des initiatives axées sur l'égalité des genres, de se les approprier et de les adapter à leur contexte spécifique, conformément au modèle de partenariat du CIR.
En Gambie, cette approche s'est appuyée sur des rapports de confiance tissés depuis des années, à partir de l'Étude diagnostique sur l'intégration du commerce (EDIC) de 2007. Au fil du temps, le soutien a été élargi vers des domaines prioritaires comme le commerce et l'économie numérique, les capacités de production, et les possibilités d'exportation pour les entrepreneuses. Le CIR s'est associé au programme phare du Centre du commerce international, SheTrades, pour aider le gouvernement à inclure une dimension de genre dans ses activités de promotion des échanges commerciaux, conformément à la stratégie de développement et au programme d'investissement de la Gambie. Une approche très institutionnalisée a ainsi été adoptée, avec une forte appropriation nationale pour aller de l'avant.
Dans le cadre d'un projet de suivi destiné aux productrices horticoles, les compétences numériques ont été renforcées pour un groupe de petites agricultrices, et une plate‑forme numérique a été créée pour les mettre en relation avec des acheteurs potentiels en pleine pandémie de COVID-19. Des solutions peu onéreuses et innovantes ont été déployées, comme un robot Whatsapp élaboré par une entreprise gambienne de technologies de l'information. La Jokkalante Market Platform était gérée par le Ministère du commerce, de l'industrie, de l'intégration régionale et de l'emploi, dans le cadre de son soutien aux petites exploitations. Entre autres choses, elle a permis d'établir des contacts directs avec les acheteurs, et de mettre en place des solutions de transport efficaces pour une livraison rapide des produits agricoles, ce qui était une préoccupation majeure pour les acheteurs s'approvisionnant auprès de micro-entreprises dirigées par des femmes. La forte appropriation, le comarquage et la participation du gouvernement en Gambie ont aidé à légitimer la plate-forme, et donc à la populariser.
Troisièmement, le rôle du potentiel de mobilisation et des effets de démonstration
La confiance instaurée au fil du temps entre le CIR et les pouvoirs publics a permis de comprendre comment les efforts en faveur de l'autonomisation économique des femmes étaient liés aux objectifs de développement économiques prioritaires. Cela était particulièrement manifeste lorsque l'égalité hommes–femmes figurait comme domaine transversal dans l'EDIC et les mises à jour ultérieures, comme en Gambie mais aussi dans d'autres PMA. Cela a aussi permis à certains partenaires nationaux d'aligner le soutien des donateurs et d'attirer des ressources additionnelles.
En Ouganda, des fonds supplémentaires ont été mobilisés pour renforcer le réseau de coopératives de femmes créé dans la "ceinture du karité". Après avoir reçu un soutien initial du CIR, l'Association des entrepreneuses ougandaises a ainsi réussi à obtenir un financement pour un projet consacré à l'autonomisation économique, et spécifiquement à la résilience, pour 340 000 femmes. Une retombée imprévue a été constatée en lien avec la préservation du karité, puisque les normes communautaires concernant la protection des arbres se sont mises à évoluer.
En conclusion, les trois enseignements majeurs à retenir de l'évaluation sont que l'approche sur mesure, l'appropriation nationale et la mobilisation des ressources peuvent être des catalyseurs extraordinaires pour enclencher des évolutions positives et faire du commerce un ressort essentiel de la justice économique pour tous et toutes.
If you would like to reuse any material published here, please let us know by sending an email to EIF Communications: eifcommunications@wto.org.