31 janvier 2020

Dans l'environnement commercial actuel, quels sont les risques et les possibilités pour les pays en développement? (deuxième partie)

by Deanna Ramsay / in Questions réponses

Martin Kaufman et Papa N'Diaye, économistes au Fonds monétaire international (FMI), parlent du commerce, de l'atténuation du changement climatique et de la technologie dans la deuxième partie de leur entretien en marge des réunions annuelles de 2019 du Groupe de la Banque mondiale et du FMI.

Le contexte économique actuel comporte des risques et offre des possibilités. Pouvez‑vous nous en dire plus à ce sujet?

Martin Kaufman, Directeur adjoint, Département de la stratégie, des politiques et de l'évaluation: Malheureusement, les risques liés aux tensions commerciales et géopolitiques prédominent à ce stade. Ces risques donnent lieu à une incertitude, affectent les investissements et entravent l'activité économique mondiale. La publication du FMI intitulée "Perspectives de l'économie mondiale" souligne que la coopération est nécessaire afin de remédier à ces tensions. Les leviers traditionnels que sont les politiques monétaires et budgétaires, ainsi que les politiques prudentielles visant à contenir les risques financiers, sont importants pour assurer la croissance et la stabilité. Toutefois, il est primordial de remédier aux tensions commerciales de manière constructive afin de libérer le potentiel de l'économie mondiale.[1] Le système commercial multilatéral est très important pour les économies émergentes et en développement, qui sont les principaux bénéficiaires d'un système fondé sur des règles. C'est pourquoi il serait très important pour tous de trouver une solution durable aux tensions, qui soit ancrée dans un système commercial multilatéral renforcé.

Le Rapport du Moniteur des finances publiques d'octobre 2019 publié par le FMI examine les moyens de lutter contre le changement climatique. De nombreux pays parmi les moins avancés sont les plus touchés par le réchauffement mondial. Que peuvent‑ils faire?

MK: Le rapport met en lumière le fait que la tarification des émissions de carbone est largement insuffisante, ce qui crée une situation qui n'est pas durable. En outre, il souligne qu'il est urgent de lutter contre le changement climatique, y compris par la tarification du carbone. À titre d'exemple, dans plusieurs cas, le prix actuel de la tonne de dioxyde de carbone est une valeur à un chiffre, alors qu'il devrait avoisiner les 75 dollars EU. La tarification du carbone est donc bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour lutter contre le changement climatique. Le rapport met en exergue les défis à relever, qui sont très importants. La lutte contre le changement climatique aura des incidences majeures, notamment des effets distributifs entre les pays, les secteurs et les populations. De plus, étant donné que les catastrophes naturelles liées au climat affecteront les pays différemment, il est possible que tous n'aient pas les ressources nécessaires pour faire face à ces risques. Cela suppose d'être capable de se préparer et de faire face aux conséquences financières, ainsi que de se doter de meilleures infrastructures.

Papa N'Diaye, Chef de la Division des études régionales, Département Afrique: Il s'agit d'un domaine dans lequel la coopération multilatérale est essentielle. Dans certains pays comme l'Afrique du Sud, si la tarification du carbone était appliquée, les prix de l'électricité augmenteraient de 89% environ. En outre, l'Afrique du Sud est confrontée à un très fort taux de chômage et, selon nos prévisions, les revenus vont décroître à moyen terme. Ainsi, ces pays sont ceux qui contribuent le moins au réchauffement mondial, mais qui seront probablement les plus touchés.

Il est nécessaire de disposer d'un cadre pour la répartition des ressources et les politiques d'atténuation et ces questions ne peuvent pas être abordées isolément: elles doivent également être traitées compte tenu de l'évolution du commerce. À titre d'exemple, en Afrique subsaharienne, une forte pression est exercée en faveur de la zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECA), qui permettra de supprimer les droits de douane pour 90% des marchandises dans les 55 pays d'Afrique. Ces pays ne contribuent pas excessivement aux émissions de carbone mais on peut imaginer que cela pourrait changer au fur et à mesure de leur développement.

Comment concevoir un système commercial qui prenne cela en considération? Je crois que la ZLECA change la donne car on passe de plusieurs États ayant une très petite population, comprise entre 10 et 15 millions de personnes, à un continent entier peuplé de 1,2 milliard d'habitants. Cela crée donc des possibilités d'intégration pour ces pays, non seulement entre eux, mais aussi dans la chaîne de valeur mondiale, ce qui nous conduit à réfléchir à des politiques commerciales qui facilitent le transfert de technologie pour atténuer certaines des émissions de carbone qui iront de pair avec le développement.

Aujourd'hui, les pays les moins avancés sont confrontés à la fois au ralentissement économique mondial et au risque d'être laissés pour compte en raison des progrès technologiques qui sous‑tendent une grande partie de la croissance. Comment ces pays peuvent‑ils veiller à ne pas être laissés pour compte, et qui d'autre doit faire partie de la solution?

PN: Nous nous sommes penchés sur l'avenir de l'Afrique et sur l'impact que la technologie pourrait avoir sur la région. Dans un scénario défavorable, il existerait un éventuel risque que l'ascenseur soit fermé ou l'escalator retiré au moment où ces pays en ont le plus besoin pour gravir l'échelle du développement.

Toutefois, dans le même temps, nous voyons des choses qui sont assez encourageantes. Si l'on s'intéresse aux services bancaires mobiles, l'Afrique subsaharienne est à la pointe. L'inclusion financière ne nécessite plus de banque physique; elle est dorénavant à portée de main et on constate des avancées formidables sur ce plan. Cependant, davantage d'investissements sont nécessaires – il faut disposer d'un réseau et le gouvernement doit investir dans ce domaine.

Des possibilités existent, mais le risque est que ces pays soient laissés pour compte en raison des exigences en matière de compétences et de technologie, ainsi que du remplacement de la main‑d'œuvre peu qualifiée par des robots. Cela ne sera pas nécessairement le cas ‑ il se pourrait que la technologie permette à ces pays de faire un bond en avant vers les étapes suivantes sans passer par les processus de développement traditionnels.

MK: Votre remarque est très importante et devrait être une priorité pour toutes les économies: les grandes comme les petites, les pauvres comme les riches. Nous avons abordé la nécessité de disposer de meilleures institutions, de procéder à des réformes structurelles, d'améliorer les cadres des politiques, mais il est également urgent d'améliorer les compétences et les systèmes d'éducation. Cela est plus important que jamais pour que les populations soient prêtes à tirer profit des possibilités que peut offrir le progrès technologique.

PN: Si l'on regarde la situation des économies avancées et celle de l'économie mondiale, la plupart des experts s'accordent à dire qu'il est fort probable que les taux d'intérêt restent bas pendant longtemps. Quelle est l'incidence de cet état de fait sur les régimes de pension, les compagnies d'assurance, etc.? Dans le même temps, il existe des possibilités d'investissement dans les pays en développement, à savoir que tous les Objectifs de développement durable pourraient être transformés en classes d'actifs qui offriraient des rendements plus élevés, de sorte que tout le monde y gagnerait.

Je ne parle pas là d'aide publique au développement; il s'agit d'une approche purement économique selon laquelle il est logique de canaliser les capitaux vers les économies en développement et d'obtenir des rendements plus élevés. Bien sûr, s'il y a des exigences en termes de réduction des risques, par exemple, des difficultés peuvent se faire jour en ce qui concerne la manière dont vous mettez les choses en place pour garantir que l'investissement est sûr. Toutes ces questions pourraient être traitées, mais nous devons aller au‑delà du mode de pensée traditionnel; il ne s'agit pas de flux générateurs d'endettement, mais d'apports de capitaux, et c'est ce sur quoi nous devrions nous concentrer.

Si nous cherchons à obtenir des rendements élevés tout en résolvant ces difficultés liées au développement, tout le monde peut y gagner. Le continent disposera de la main‑d'œuvre la plus importante au monde d'ici à 2030 ou 2040, ainsi que d'une main‑d'œuvre jeune alors que celle du reste du monde vieillira. Nous devons créer une situation dans laquelle les emplois dont les gens ont besoin existent. Le statu quo n'est pas viable. 

 

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Cet entretien s'est déroulé avant la signature de l'accord commercial dit "de phase 1" entre les États‑Unis et la Chine, le 15 janvier 2020.

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Cet article est le deuxième d'une série de deux articles. Premier entretien.

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