14 septembre 2020

Stimuler le développement de chaînes de valeur régionales en Afrique face à la COVID 19: Le rôle catalyseur de la ZLECAf

by Karishma Banga Jodie Keane Max Mendez-Parra Laetitia Pettinotti Lily Sommer / in Tribune libre

Un nouvel article examine les chaînes d'approvisionnement dans le commerce africain pendant la crise liée à la COVID 19 et post pandémie.

Sur le continent africain, la COVID 19 a fait ressortir la nécessité de développer les chaînes de valeur régionales et de valoriser le potentiel commercial. Les premiers mois de la pandémie en Afrique ont été marqués par des pénuries alimentaires, des hausses de prix et des ruptures dans les chaînes d'approvisionnement en produits pharmaceutiques.

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Ces ruptures s'expliquent par l'augmentation des coûts des transactions pour les opérations de commerce extérieur (due à des inspections supplémentaires, des horaires restreints, des fermetures de routes et de frontières, et une hausse des coûts de transport), sur fond de dépendance endémique vis‑à‑vis des importations. En 2018, les importations de produits alimentaires et de produits médicaux et pharmaceutiques en Afrique provenaient pour 82,2% et 95,9% respectivement de l'extérieur du continent.

La COVID‑19 a mis en lumière la dépendance de l'Afrique vis‑à‑vis des produits pharmaceutiques importés (produits finals et intermédiaires), et montré à quel point il était urgent de mettre en place dans ce secteur des chaînes de valeur qui soient compétitives, résistantes et solides (voir figure 1). Non seulement une grande partie des principaux fournisseurs de produits pharmaceutiques de l'Afrique sont fortement touchés par la COVID‑19 (les importations proviennent principalement de l'UE‑27, de l'Inde et de la Suisse), mais beaucoup ont aussi limité les exportations de fournitures médicales et de médicaments associés à la pandémie, mettant de nombreux pays africains dans des situations très délicates.

Face aux difficultés rencontrées par les pays pour se procurer des produits médicaux essentiels auprès de fournisseurs mondiaux afin de lutter contre la COVID‑19, il y a déjà eu une évolution positive des chaînes d'approvisionnement mondiales vers des réseaux plus régionaux et locaux. Par exemple, en Afrique du Sud, l'entreprise U‑Mask a réorienté sa production de masques de protection pour les activités minières et agricoles vers des masques respiratoires médicaux. Au Nigéria, l'Agence nationale pour les infrastructures scientifiques et techniques a produit les premiers ventilateurs "fabriqués au Nigéria". Le Sénégal, en collaboration avec le Royaume‑Uni et la France, évalue un prototype de kit de dépistage qui coûtera moins de 1 dollar EU, et au Ghana une entreprise de diagnostic a mis au point en coopération avec une université locale un test qui donne des résultats en 20 minutes.[1]

 

Figure 1: Provenance des importations de produits pharmaceutiques en Afrique (2016 2018) et destination des exportations de produits pharmaceutiques de l'Afrique (2016 2018)

Source: d'après des données UNCTADstat

 

Une étude récente réalisée conjointement par le Centre africain pour la politique commerciale (CAPC) de la CEA‑ONU et l'entreprise International Economics Consulting, sur les effets de la COVID‑19 pour les entreprises et le commerce en Afrique, montre que les entreprises africaines sont capables de s'adapter et d'innover pour relever les défis posés par la pandémie, y compris les perturbations des chaînes d'approvisionnement mondiales. Par ailleurs, la CEA‑ONU et l'AFREXIMBANK se sont associées pour encourager la fabrication de fournitures médicales liées à la COVID‑19 pouvant être produites et exportées sur le continent. Cela devrait favoriser une approche régionale pour le développement de chaînes de valeur médicales fondées sur des avantages comparatifs et des économies d'échelle, et contribuer à faire en sorte que les pays africains qui n'ont pas la capacité de fabriquer les produits nécessaires puissent y accéder dans la région.

Cependant, l'Accord portant création de la Zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECAf) est le cadre principal pour stimuler les échanges intra‑africains. Une mise en œuvre rapide sera essentielle pour accélérer le développement de marques africaines intégrées dans des chaînes de valeur régionales compétitives et solides. De fait, l'un des principaux objectifs de la ZLECAf est de "stimuler la production par le développement de chaînes de valeur régionales, de manière à ce que les entreprises manufacturières, l'industrie agroalimentaire et d'autres secteurs d'activités sur tout le continent approvisionnent le marché". La ZLECAf offre donc au continent l'occasion de s'engager à nouveau en faveur du développement industriel, en vue de réduire sa forte dépendance commerciale vis‑à‑vis des partenaires non africains, et de renforcer sa position face aux chocs mondiaux à venir. Des mesures sont prises pour contrer les effets immédiats de la pandémie, mais il reste crucial de ne pas perdre de vue le repère essentiel que constitue la ZLECAf et son entrée en vigueur, repoussée au 1er janvier 2021.

 

Figure 2: Contraction attendue de la croissance liée à la COVID‑19 en Afrique

Source: CEA‑ONU

 

Pour que les pays africains tirent parti de la diversification des chaînes d'approvisionnement mondiales et mettent en place des chaînes de valeur régionales résilientes, il faudra déployer des efforts importants en matière de politique industrielle pour stimuler la compétitivité, afin que l'Afrique puisse proposer une production à faible coût comparable à celle de la Chine et des pays d'Asie du Sud‑Est comme le Viet Nam et le Cambodge. La ZLECAf est pour l'Afrique une chance de surmonter des obstacles non tarifaires bien connus et autres contraintes qui ont entravé la diversification du commerce et l'industrialisation.

Tout développement de chaînes d'approvisionnement régionales et plus courtes sera facilité par des efforts visant à rationaliser les flux commerciaux de marchandises et de services sur le continent. La ZLECAf constitue un mécanisme institutionnel pour lever les obstacles au commerce, et un moyen de canaliser l'investissement pour remédier aux blocages existants. Au nom de la santé publique, le secteur pharmaceutique devrait occuper une place centrale dans la ZLECAf, et être prioritaire aux premières étapes de la mise en œuvre. C'est ainsi que la ZLECAf pourra jouer un rôle fondamental pour la reprise après la crise.

 

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[1] Primi, A., Mavroeidi, V., Toselli, M., et al. (2020) ‘Speeding up Africa’s response to Covid-19: what can technology, manufacturing and trade do?’. Paris: OECD.

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L'article dans son intégralité est disponible here.

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Credits

Header image of a worker at a garment factory on the outskirts of Ho Chi Minh City, Vietnam- ©ILO/Aaron Santos via Flickr Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-NC-ND 2.0) license. In text image of workers at the Socota garment factory in Madagascar - ©Fabrice Lehmann.

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