L'impact de la guerre en Ukraine sur les prix des produits alimentaires et des combustibles affaiblira les économies déjà mises à mal par la pandémie de COVID‑19 et les catastrophes liées au climat.
Nous vivons dans un monde interconnecté dans lequel l'impact d'un missile lancé sur une ville ukrainienne peut être ressenti aussi loin qu'à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso (Afrique de l'Ouest), en raison de la hausse du prix d'un sac de blé ou de l'essence.
Dans sa mise à jour d'avril des Perspectives de l'économie mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) a revu à la baisse ses prévisions de la croissance mondiale, qui devrait perdre 0,8 point de pourcentage par rapport aux prévisions de janvier pour s'établir à 3,6% en 2022, puisque l'impact économique de la guerre en Ukraine se répercute à l'échelle mondiale sur le marché des produits de base, le commerce et les liens commerciaux.
Il a beaucoup été question de la forte dépendance énergétique de l'Europe vis‑à‑vis de la Russie. La hausse des prix des combustibles et des produits alimentaires dans de nombreuses régions du monde – moins visible, mais non moins importante – s'explique par les perturbations de l'approvisionnement en provenance du deuxième exportateur mondial de pétrole, la Russie, et du cinquième exportateur mondial de blé, l'Ukraine, causées par la guerre et les sanctions qui en découlent.
Les pays les moins avancés (PMA), vulnérables, avaient grand besoin de soutien même quand tout allait bien. Face aux effets combinés des changements climatiques, de la COVID‑19 et de la guerre en Ukraine, nous risquons une catastrophe humaine.
Les responsables des orientations politiques et les décideurs doivent agir de toute urgence, non seulement en apportant une aide humanitaire, mais aussi en prenant des mesures cohérentes et ciblées et en investissant dans un développement commercial et économique plus vert et plus résilient.
Comme l'a dit la Directrice générale de l'OMC le système actuel "n'a pas été conçu pour un monde où une catastrophe climatique peut interrompre les activités d'usines dans le monde entier, ou dans lequel un virus microscopique peut bouleverser la circulation des marchandises, des services et des personnes quasiment du jour au lendemain. Ce n'est pas une raison pour se détourner du commerce, qui nous aide à nous adapter à ces chocs et à d'autres chocs".
Outre les préoccupations relatives à l'approvisionnement en énergie, de plus en plus de dirigeants d'organisations internationales et de partenaires du CIR, y compris la Directrice générale de l'OMC, mettent en garde contre l'imminence d'une crise alimentaire, les pays du monde entier fermant leurs marchés des produits de base. Certains craignent même que ce qui s'est passé en 2007 ne se reproduise: les effets cumulés de la sécheresse, des conflits et de l'implosion du système financier avaient alors déclenché une crise économique mondiale dont de nombreux pays ne s'étaient pas encore totalement remis lorsque la pandémie de coronavirus a frappé.
Les PMA sont particulièrement exposés à une crise alimentaire et énergétique. Trente‑huit des 45 pays d'Afrique subsaharienne sont des importateurs nets de pétrole. Pour ces pays, une hausse des prix mondiaux se traduit par une augmentation de la facture des importations, des coûts de transport et des prix de la plupart des marchandises. Pour les populations des PMA, cela peut entraîner une baisse du pouvoir d'achat, une diminution de la croissance et, en fin de compte, une augmentation de la pauvreté.
En outre, la Russie et l'Ukraine produisent à elles deux plus de la moitié de l'huile de tournesol, environ 30% du blé et de l'orge et 17% du maïs au niveau mondial. Une grande partie de ces aliments se retrouve dans les assiettes des pays pauvres après être passée par des chaînes d'approvisionnement mondiales complexes.
Selon la CNUCED, entre 2018 et 2020, l'Afrique a importé 45% de son blé de ces deux pays. Un pays africain sur deux importe plus d'un tiers de son blé de Russie, et des PMA comme la RDP lao, le Bénin et la Somalie achètent plus de 90% de leur blé à ces deux pays.
Les prix des produits alimentaires ont augmenté de 9% entre 2019 et 2020 en Afrique subsaharienne, et de 2% supplémentaires en octobre dernier. L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) prévient que les prix risquent d'augmenter encore plus rapidement si les importations en provenance de Russie et d'Ukraine restent perturbées ou si les prix des produits importés augmentent en raison de la hausse des prix du pétrole.
Le Programme alimentaire mondial signale qu'il achète d'ores et déjà ses fournitures 30% plus cher qu'en 2019. Il indique que le nombre de personnes souffrant de la faim est passé de 27 à 44 millions depuis 2019 et que 232 millions d'autres personnes restent à risque.
L'insécurité alimentaire donne souvent lieu à des troubles et une instabilité politiques. La hausse des prix des produits alimentaires en 2007‑2008 a déclenché des émeutes en Haïti et au Bangladesh avant d'alimenter la rage qui a conduit au printemps arabe. Des manifestations contre la hausse du prix du pain, comme celles observées au Soudan en 2019, pourraient éclater à nouveau si les prix continuent d'augmenter.
Les agriculteurs pratiquant une agriculture de subsistance sont quelque peu à l'abri de cette inflation des prix des produits alimentaires et pourraient même en tirer profit s'ils parviennent à vendre une partie de leurs excédents. Mais ils restent eux aussi vulnérables aux effets des changements climatiques et à la hausse potentielle des prix des intrants et du matériel. De ce fait, il a été constaté que les changements climatiques avaient amplifier et aggraver la crise politique qui a éclaté en Syrie en 2011.
Les PMA connaissent de plus en plus de perturbations climatiques, auxquelles s'ajoute la hausse des prix des produits alimentaires et des combustibles. Cette combinaison de facteurs est le meilleur moyen de ralentir la reprise économique, d'accroître la pauvreté et de déclencher des troubles sociaux.
Les donateurs ont réagi à la situation en fournissant une aide humanitaire à la population ukrainienne, y compris aux personnes cherchant refuge dans les pays voisins. Ces efforts sont louables, mais insuffisants.
Pour prévenir la prochaine crise mondiale et soutenir la stabilité et la croissance socioéconomiques et financières, les leçons tirées des crises passées ont montré qu'il était impératif d'accorder une attention à tous les pays, en particulier les plus vulnérables et ceux qui sont géographiquement éloignés du théâtre du conflit. Bien que cela ait été clairement reconnu par les dirigeants mondiaux, notamment dans la récente déclaration de la cinquième Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés, les mois à venir montreront si l'on peut passer de la parole aux actes et garantir que personne ne soit laissé pour compte.
L'Aide pour le commerce et les mécanismes de soutien tels que le Cadre intégré renforcé peuvent jouer un rôle essentiel lorsqu'il s'agit d'aider les pays les plus vulnérables à se relever après les chocs économiques exogènes et à s'y adapter. Dans le monde interconnecté d'aujourd'hui, ces pays ont besoin d'un soutien pour rendre leurs économies plus résilientes face aux crises futures, en particulier celles liées à la sécurité alimentaire. Comme nous le savons, l'Ukraine a désormais manqué la saison des semis de maïs et de tournesol, ce qui aura d'autres répercussions sur l'offre mondiale de produits alimentaires.
La douzième Conférence ministérielle de l'OMC et l'Examen global de l'Aide pour le commerce sont des événements clés pour les dirigeants mondiaux, qui doivent mettre en pratique les engagements politiques pris à l'égard des PMA, notamment en continuant à fournir un soutien au titre de l'Aide pour le commerce afin de mettre en place des systèmes de commerce et de développement plus solides et connectés.
La guerre en Ukraine nous a de nouveau rappelé à quel point le monde était devenu étroitement lié par le commerce et les chaînes d'approvisionnement mondiales. Bien que le conflit soit local et que ses effets immédiats soient régionaux, son impact est mondial et les réponses à apporter pour y faire face doivent l'être aussi.
Photo by Polina Rytova on Unsplash
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