29 mai 2019

Négociations sur les subventions à la pêche: quels enjeux pour les pays les moins avancés?

by Alice Tipping Tristan Irschlinger / in Nouvelles
  • La pêche est une source essentielle de protéines animales, de moyens de subsistance et de recettes d'exportation pour de nombreux pays en développement, y compris plusieurs PMA.

  • De nouvelles disciplines effectives de l'OMC sur les subventions pourraient contribuer fortement à rendre la pêche plus durable au niveau mondial.

  • L'Aide pour le commerce peut aider les PMA à revoir la conception de leurs programmes de subventionnement et à mettre en œuvre un nouvel accord de l'OMC sur les subventions à la pêche.

Pour autant que l'exploitation soit durable, la pêche représente pour les communautés côtières, y compris dans les pays les moins avancés (PMA), une source de protéines et de micronutriments essentielle à la fois pour la nutrition et la sécurité alimentaire, ainsi que des emplois et des revenus dont ces populations ont grand besoin.

Or la capacité du secteur de contribuer à garantir la sécurité alimentaire et des emplois pour des populations de plus en plus nombreuses est menacée. D'après le dernier rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) sur la situation mondiale des pêches et de l'aquaculture, 33% des stocks de poissons évalués sont actuellement surexploités, et 60% des stocks sont pêchés au niveau durable maximal.

 

Évolution de l'état des stocks ichtyologiques marins mondiaux, de 1974 à 2015

Les négociations sur les règles concernant les subventions à la pêche dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) peuvent‑elles permettre de donner aux activités de pêche à l'échelle mondiale une orientation plus durable, et comment les PMA peuvent‑ils être accompagnés dans ce processus?

Importance de la pêche et des subventions

La pêche est une source essentielle de protéines animales, de moyens d'existence et de recettes d'exportation pour de nombreux pays en développement, et pour plusieurs PMA. D'après la FAO, en 2015 le poisson apportait environ 26% des protéines animales consommées dans les PMA. Une étude récente de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) montre aussi que pour 14 PMA sur un total de 48, les produits de la pêche figurent parmi les 5 principaux produits d'exportation. Un PMA, le Myanmar, fait partie des 20 premiers producteurs mondiaux pour la pêche de capture marine.

Beaucoup de PMA exploitent leurs propres ressources halieutiques et autorisent aussi les flottes d'autres pays à y accéder, notamment des flottes de pays développés et en développement opérant en eaux lointaines. Ces accords d'accès au bénéfice de flottes industrielles étrangères représentent souvent une source importante de revenus pour des gouvernements de PMA au budget limité, mais ils créent aussi parfois des tensions par rapport à l'accès dont bénéficient les flottes nationales.

La pêche, importante donc du point de vue de la sécurité alimentaire et de l'exportation, est aussi profondément ancrée dans le tissu social, économique et culturel de nombreux PMA côtiers. Pour bon nombre de communautés, elle représente autant une identité qu'une activité économique indispensable en l'absence d'autres possibilités.

D'où l'importance aussi des subventions. Il est aujourd'hui largement reconnu que les subventions à la pêche sont l'un des principaux facteurs qui encouragent la surpêche dans le monde. Quand ils sont mal conçus, ces instruments de soutien risquent d'inciter davantage les pêcheurs à mener des activités au‑delà des niveaux durables.

Des mesures apparemment efficaces pour soutenir le secteur de la pêche à court terme aboutissent souvent à une surcapitalisation des flottes et à de la surpêche, menaçant la capacité des communautés d'exploiter durablement les ressources marines sur le long terme, au détriment de tous.

Plusieurs études ont cependant montré que toutes les aides gouvernementales n'avaient pas les mêmes effets négatifs. Des modèles établis par l'OCDE indiquent que le soutien des revenus, par exemple, comporte des avantages pour les pêcheurs sans fort accroissement de l'effort de pêche. En revanche, il est très probable que le soutien sous forme de subventions aux intrants (comme le carburant) entraîne un accroissement des activités et des risques de surpêche, sans hausse notable des revenus des exploitants. Un rapport de Rashid Sumaila a aussi montré que certaines formes de soutien aux mesures de gestion des pêches encourageaient des investissements positifs dans les ressources halieutiques.

Négociation de règles internationales sur les subventions à la pêche

Les Membres de l'Organisation mondiale du commerce négocient actuellement de nouvelles règles concernant la fourniture de subventions au secteur de la pêche. Ce qui n'est pas habituel à l'OMC, ces négociations sont avant tout motivées par les effets des subventions des activités économiques sur l'environnement marin: le mandat initial porte en effet sur l'interdiction de "certaines subventions contribuant à la surcapacité et à la surpêche".

Les négociations ont aussi trait au lien entre les subventions et la gouvernance des océans puisque l'Objectif de développement durable 14.6 intègre le mandat de l'OMC et demande aussi aux membres de supprimer les subventions à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (pêche INN). Le mandat initial comme l'ODD 14.6 soulignent l'importance d'un traitement spécial et différencié "approprié et effectif" pour les pays en développement et les pays les moins avancés, eu égard à l'importance de la pêche pour leur développement durable.

Il y a principalement trois règles de fond sur la table des négociations: une interdiction des subventions à la pêche INN, une interdiction des subventions concernant les stocks de poissons surexploités, et une interdiction plus large (conforme au mandat initial) des subventions qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche. Les négociateurs ont aussi commencé à réfléchir à la façon dont les disciplines seraient mises en œuvre, et au soutien qui pourrait être disponible pour y parvenir.

Le traitement spécial et différencié est abordé de façon transversale: c'est une question à traiter par rapport à la charge globale que représentent les nouvelles règles. À ce stade, les options envisagées comprennent des délais plus longs pour la mise en œuvre, une assistance technique et dans certains cas des exemptions de certaines nouvelles règles, en particulier les nouvelles disciplines concernant les subventions qui accroissent les capacités et l'effort de pêche. Les PMA ont eux‑mêmes proposé que les interdictions des subventions relatives à la pêche INN et aux stocks surexploités s'appliquent à eux, reconnaissant la gravité des enjeux auxquels ces disciplines cherchent à répondre.

Conséquences des nouvelles règles en matière de subventions sur les politiques publiques des PMA

La mise en œuvre de nouvelles règles de l'OMC sur les subventions à la pêche aura toute une série d'effets sur les politiques publiques des PMA. Ces pays devront décider comment ils veulent appliquer l'interdiction des subventions à la pêche INN, par exemple en ajoutant une interdiction des subventions aux sanctions nationales existantes concernant la pêche illicite.

Améliorer le suivi, le contrôle et la surveillance des activités de pêche – des flottes nationales et étrangères – à l'intérieur de leur zone économique exclusive pourrait aider les PMA à appliquer de façon plus complète une règle sur les subventions à la pêche INN. Il pourrait aussi leur être utile d'évaluer la situation de leurs stocks de poissons à plus forte valeur économique, à l'aide de méthodes nécessitant plus ou moins de données. Ensuite, s'agissant des stocks surexploités, les pays devront déterminer comment réformer les subventions pour les flottes concernées.

La réforme des subventions peut aussi contribuer à l'adaptation aux changements climatiques. Il y a déjà des éléments indiquant que le réchauffement des océans entraîne un déplacement des stocks de poissons vers des latitudes plus élevées et des eaux plus profondes. Les stocks de poissons en bonne santé sont plus résilients face aux changements climatiques que les stocks surexploités. Dans la mesure où la réforme des subventions contribue à la bonne santé des stocks, elle favoriserait une adaptation progressive des stocks de poissons et de l'ensemble de l'écosystème océanique aux évolutions provoquées par le changement climatique, et donnerait ainsi aux communautés qui dépendent de la pêche pour subsister plus de temps pour s'adapter.

Rôle de l'Aide pour le commerce

L'Aide pour le commerce peut contribuer, d'au moins trois façons, à aider les PMA pour revoir la conception des programmes de subventions et mettre en œuvre un nouvel accord de l'OMC sur les subventions à la pêche.

Premièrement, l'Aide pour le commerce pourrait permettre aux gouvernements des PMA de pleinement comprendre les implications exactes des nouvelles règles de l'OMC, en examinant les politiques et programmes existants et en recensant changements, réformes ou améliorations à apporter compte tenu des nouvelles disciplines. Cela pourrait se faire dans le contexte d'un examen du secteur de la pêche et de son rôle pour la diversification économique et pour un développement durable tiré par les échanges commerciaux.

Deuxièmement, l'Aide pour le commerce pourrait aider les gouvernements et les parties prenantes à déterminer comment donner effet aux nouvelles disciplines, y compris comment lier les politiques de subventionnement et les décisions en matière de gestion des pêcheries, par exemple pour éliminer progressivement les subventions concernant les stocks surexploités. Dans ce contexte, l'Aide pour le commerce pourrait compléter d'autres types d'assistance technique disponibles en vue de renforcer la gestion des pêcheries, par exemple pour l'évaluation des stocks et la meilleure surveillance de la pêche dans les eaux territoriales.

Troisièmement, l'Aide pour le commerce pourrait être utilisée pour trouver des voies de réforme des subventions aidant les PMA à se conformer à leurs nouvelles obligations au titre d'un éventuel accord de l'OMC, tout en gérant activement les répercussions sur leurs communautés les plus vulnérables. En particulier, l'Aide pour le commerce pourrait fournir un appui aux communautés de pêcheurs des PMA en vue de remédier aux contraintes du côté de l'offre et des infrastructures (capacités d'entreposage et de transformation, par exemple), afin d'ajouter de la valeur à leurs prises avant de les revendre, de manière à soutenir éventuellement les revenus pendant une période de transition concernant les subventions.

Les organisations comme l'Institut international du développement durable (IIDD), qui œuvrent depuis longtemps pour aider les pays à concevoir des voies de réforme des subventions, seront également bien placées pour contribuer aux efforts déployés.

 

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* Alice Tipping is Lead, Fisheries Subsidies at the International Institute for Sustainable Development. Tristan Irschlinger is a Policy Advisor, Fisheries Subsidies at the International Institute for Sustainable Development.

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Cette série a été financée par le gouvernement australien par l'intermédiaire du Département des affaires étrangères et du commerce. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement australien.

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Header image of charcoal production in the Yangambi region of the Democratic Republic of the Congo - ©Axel Fassio/CIFOR
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