9 décembre 2019

Briser les cloisonnements entre le commerce et le climat dans l'intérêt des pays les plus vulnérables du monde

by Rashid S. Kaukab / in Tribune libre
  • Il est urgent de mieux comprendre les liens entre le commerce et les changements climatiques dans le contexte des pays les moins avancés (PMA).

  • Les cloisonnements actuels entre les négociateurs des PMA au sein de l'Organisation mondiale du commerce et la Convention‑cadre des Nations Unies sur les changements climatiques devraient être brisés pour favoriser une approche globale allant dans le sens d'un développement inclusif et durable.

  • Le potentiel des politiques et accords commerciaux et liés au commerce doit être pleinement exploité pour aider les PMA à s'adapter et devenir plus résilients face aux changements climatiques.

La réunion annuelle de la Conférence des Parties (COP) – l'organe suprême de la Convention‑cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) – est en cours à Madrid (Espagne). Les pays les moins avancés (PMA) participent activement aux discussions et aux négociations qui détermineront la manière dont tous les membres de la CCNUCC s'acquitteront de leurs obligations pour relever l'un des plus grands défis de notre époque.

En même temps, les Membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève (Suisse), sont confrontés à plusieurs questions importantes auxquelles le système commercial multilatéral doit faire face tout en gardant à l'esprit la prochaine réunion de l'organe suprême de l'OMC, la conférence ministérielle, qui se tiendra pendant l'été 2020. Les PMA participent aussi activement à toutes les discussions et négociations de l'OMC.

Cependant, on n'entend pas beaucoup parler du commerce dans les salles de réunion de la COP25 à Madrid, ni du changement climatique dans les couloirs de l'OMC à Genève. Le fossé entre la communauté du commerce et celle qui s'occupe des changements climatiques, y compris les négociateurs des PMA à l'OMC et à la CCNUCC, est flagrant et il est alarmant.

Les changements climatiques ont une incidence sur le commerce et inversement

Le commerce a été et demeure un élément essentiel des stratégies de développement des PMA. Les efforts que déploient ces pays, avec l'appui de leurs partenaires commerciaux et de développement, ont été dirigés vers une intégration significative et bénéfique dans le système commercial multilatéral.

Ils ont investi dans l'élaboration et la réforme de leurs politiques liées au commerce et dans la promotion d'approches et d'accords constructifs dans le cadre de l'OMC. De fait, le groupe des PMA à l'OMC a été à l'origine de plusieurs décisions ministérielles importantes de cette organisation – par exemple celles relatives à la simplification des règles d'origine pour les exportations des PMA vers les marchés où ils bénéficient de préférences.

Mais les perspectives commerciales et les résultats commerciaux des PMA sont gravement menacés par les changements climatiques. Les phénomènes météorologiques extrêmes, les saisons changeantes, l'élévation du niveau des mers, pour n'en citer que quelques‑uns, entraînent de graves perturbations de leur production et des caractéristiques de leurs échanges.

Bien que l'agriculture soit souvent la principale victime de ces effets négatifs, aucun secteur de l'économie de ces pays n'est à l'abri des aléas des changements climatiques. Par exemple, la production industrielle souffre d'interruptions dans les approvisionnements en intrants, et les secteurs des services comme le tourisme peuvent perdre des investissements et des revenus substantiels du fait d'un événement climatique extrême. L'existence même de certains d'entre eux est menacée à cause de l'élévation du niveau de la mer.

Le commerce a également des répercussions sur les changements climatiques. Il peut aggraver la crise climatique en contribuant aux émissions de gaz à effet de serre. Mais il pourrait également faire partie de la solution. Le commerce peut promouvoir la production et la consommation durables, contribuer au développement des capacités et fournir les ressources et la technologie nécessaires pour prendre des mesures d'adaptation au changement climatique et d'atténuation de ses effets; il peut aussi conduire à l'élaboration de règles efficaces – par exemple contre les subventions à l'agriculture et à la pêche préjudiciables ainsi qu'à une réforme des subventions aux combustibles fossiles.

Les engagements pris par les membres dans le contexte des changements climatiques ne peuvent être pleinement et efficacement mis en œuvre sans tenir compte de leurs incidences commerciales. De même, les politiques et accords commerciaux ne peuvent atteindre leur objectif de développement inclusif et durable sans tenir compte de la crise liée aux changements climatiques.

Un rapprochement est possible entre les communautés commerciale et climatique dans les PMA

Et pourtant, les négociations sur le commerce restent complètement séparées de celles qui ont trait aux changements climatiques.

Il est vrai que, en particulier dans le cas des PMA, l'une des principales raisons est le manque de ressources humaines, techniques, financières et institutionnelles. Les négociateurs des PMA en matière de commerce et de changements climatiques ont déjà du mal à suivre le rythme et à s'imposer dans les négociations exigeantes et complexes de l'OMC et de la CCNUCC. Avec un appui technique et institutionnel limité, on ne peut s'attendre à ce qu'ils brisent les cloisonnements entre le commerce et les changements climatiques, une tâche que même les pays développés trouvent difficile à accomplir.

Malheureusement, le temps ne joue pas en faveur du maintien du statu quo. Il est urgent d'œuvrer au rapprochement des communautés commerciale et climatique dans les PMA, y compris de leurs négociateurs à l'OMC et à l'UNFFCC. Ce travail peut prendre plusieurs formes.

Tout d'abord, l'analyse des liens entre le commerce et les changements climatiques et de leurs implications pour les politiques des PMA est une priorité essentielle. Cela aidera grandement à démystifier la fausse dichotomie entre ces deux domaines clés et à accroître la perception et la compréhension des chevauchements, contradictions et synergies.

Deuxièmement, des ressources devraient être mises à disposition pour permettre la participation des négociateurs commerciaux des PMA aux réunions sur les changements climatiques et vice versa. Cela leur permettra d'avoir une connaissance directe de ce qui se passe dans l'autre tribune et d'en tenir compte dans la leur.

Troisièmement, il faudrait promouvoir des consultations multipartites au niveau national afin d'élaborer des politiques en matière de commerce et de changements climatiques et de définir des positions nationales des PMA à l'OMC et à la CCNUCC. Des consultations élargies et inclusives sont peut‑être le meilleur moyen d'élaborer des politiques et des positions globales.

Sortir du statu quo

La bonne nouvelle est que la possibilité s'offre à nous d'entreprendre ces actions.

Le processus préparatoire de la prochaine Conférence des Nations Unies sur les PMA (UNLDC‑V) prévue pour 2021 peut et devrait être utilisé pour planifier, entreprendre et renforcer les efforts décrits ci‑dessus pour aider les PMA à exploiter le potentiel des politiques et accords commerciaux et liés au commerce afin de s'adapter et de devenir plus résilients face aux changements climatiques.

 

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Rashid S. Kaukab est Directeur exécutif de CUTS International Geneva.

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