Les commerçantes du Rwanda et de la RDC créent un front uni
Il est 9 heures du matin lundi et le marché de Goma, en République démocratique du Congo (RDC), est très animé. Simire Cibolonza salue un groupe de commerçantes venues de la ville rwandaise voisine de Gisenyi pour lui remettre les choux qu'elle va vendre cette semaine. Leur relation est basée sur la confiance; Cibolonza n'a pas l'argent pour payer les choux à l'avance et elles se sont arrangées pour différer le paiement après la vente.
"Nous sommes très unies", dit Cibolonza.
Mais cela n'a pas toujours été le cas. Bien que Goma et Gisenyi soient à moins de 10 kilomètres l'une de l'autre, des décennies de conflits ont fait que les relations entre Rwandais et Congolais ont été plus souvent caractérisées par la méfiance, la suspicion et une franche hostilité. Les femmes, qui représentent 70% des commerçants transfrontaliers, sont souvent les plus touchées par ces tensions.
"Avant, nous étions victimes de harcèlement quand nous traversions la frontière pour aller à Goma", a déclaré l'une des commerçantes rwandaises.
"Et nous [les commerçants rwandais et congolais] ne pouvions pas nous entraider parce que nous ne nous connaissions même pas."
"C'est particulièrement important si l'on considère que 64% des petites commerçantes interrogées aux points de passage frontaliers ont déclaré compter sur le commerce transfrontières comme principal moyen de subsistance", a déclaré Betty Mutesi, responsable de pays pour International Alert Rwanda, qui œuvre avec le Cadre intégré renforcé, la Banque mondiale et TradeMark East Africa pour appliquer un accord commercial transfrontières offrant un environnement sûr pour le petit commerce transfrontières entre le Rwanda et la RDC.
Pour assurer leur sécurité, les femmes commerçantes du Rwanda se sont organisées en coopératives. Cela, conjugué à des investissements dans des infrastructures commerciales plus sûres et la formation des commerçants aux procédures douanières, a aidé les commerçants rwandais à établir et à renforcer leurs relations avec des commerçants de la RDC tels que Cibolonza.
« Lorsque les gens entretiennent des relations commerciales et se font confiance, ils sont mieux à même de relever ensemble les défis sans recourir à la violence. Les pays qui font du commerce sont les moins exposés au risque de guerre. »
Betty Mutesi, responsable de pays pour International Alert Rwanda
"Nous nous invitons les uns les autres aux fêtes de famille, nous nous rendons visite à l'hôpital quand nous sommes malades ... nous n'avons plus peur les uns des autres", dit Cibolonza.
Mutesi considère ces relations commerciales quotidiennes comme la clé de ce qu'elle appelle une "paix durable".
"D'abord et surtout, cela crée des liens économiques entre les communautés et, à mesure que de plus en plus de gens participent à ce commerce, cela augmente le coût du conflit. Deuxièmement, lorsque les gens entretiennent des relations commerciales et se font confiance, ils sont mieux à même de relever ensemble les défis sans recourir à la violence. Les pays qui font du commerce sont les moins exposés au risque de guerre", ajoute-t-elle.
Le Rwanda et la RDC ne sont pas les seuls pays touchés par un conflit – sur les 178 pays analysés dans l'indice des États fragiles de 2018, 32 sont considérés comme "à risque" ou "à risque élevé". Sur ce nombre, 63 % sont également classés parmi les pays les moins avancés (PMA).
De nombreux PMA dépendent de produits de base tels que minéraux et denrées alimentaires de base. Cela les rend particulièrement vulnérables aux chocs du marché mondial, tels que la volatilité des prix ou le tarissement des exportations.
Selon Luisa Bernal, spécialiste des politiques au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), tous les pays sont exposés à des risques multidimensionnels, mais il y en a qui sont moins capables de gérer certains risques et moins préparés à réagir aux chocs, ce qui les rend fragiles.
"De nombreux pays confrontés à la fragilité sont fortement tributaires du commerce, de sorte que tout choc dans les flux commerciaux peut avoir un effet dévastateur", dit-elle.
"Le Soudan du Sud, par exemple, est très dépendant du pétrole, qui représente plus de 50% du PIB et la quasi-totalité des exportations. Les fluctuations des prix du pétrole interagissent avec d'autres vulnérabilités telles que les niveaux élevés de pauvreté et d'inégalité et la faible capacité des institutions étatiques, ce qui accroît la fragilité", dit Mme Bernal.
Le thème #Trade4Peace a récemment été abordé par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et le CIR lors d'une réunion d'experts qui a eu lieu pendant la Semaine de la paix à Genève.
Les participants ont discuté de la façon dont le commerce crée des emplois susceptibles d'atténuer les tensions et les troubles sociaux et de la manière dont les efforts de diversification de l'économie d'un pays peuvent avoir un effet positif sur la paix.
"Donner aux jeunes et aux femmes les moyens d'accéder aux opportunités économiques est particulièrement important pour construire la paix", a déclaré Mme Bernal.
En mettant l'accent sur l'autonomisation des femmes et des jeunes, l'approche adoptée par le Rwanda pour élaborer une stratégie transfrontières inclusive en dialoguant avec tous les secteurs de la société pour comprendre la stratégie et contribuer au processus de développement a été essentielle pour maintenir la paix au Rwanda.
"Les sociétés pacifiques sont des sociétés inclusives. La promotion de l'égalité d'accès aux ressources politiques, économiques et sociales – en particulier pour les personnes les plus marginalisées par rapport à la gouvernance et à la prise de décision, comme les femmes et les jeunes – par le biais du commerce transfrontières permettra également aux communautés frontalières de mieux gérer leurs conflits", a-t-elle ajouté.
Depuis l'introduction de la stratégie, le volume des échanges a également triplé, selon Mme Mutesi.
"Les moyens d'existence des populations les plus pauvres se sont améliorés sous l'effet direct de cette stratégie", a-t-elle dit.
"Les commerçants ont pu payer les frais de scolarité de leurs enfants et l'assurance médicale familiale et construire leur maison. Il y a également eu une réduction de la violence domestique", a-t-elle ajouté.
Les pays en situation de fragilité sont souvent moins susceptibles d'attirer des investissements en raison de la complexité de leur environnement bureaucratique et de carences au niveau de la gouvernance.
Les efforts de diversification économique contribuent à remédier à la vulnérabilité économique, selon Mme Bernal.
"L'appui de la communauté internationale à l'amélioration de l'environnement des affaires, de l'infrastructure et des capacités productives et commerciales contribue à jeter les bases économiques permettant aux pays de sortir de la fragilité ... c'est un investissement dans la prévention", a-t-elle dit.
"Les partenaires de développement doivent combiner les efforts d'intervention humanitaire avec des investissements dans le développement à long terme afin de protéger les moyens de subsistance et de faciliter le redressement économique", a dit Mme Bernal.
"Lorsque les institutions nationales sont soutenues et qu'il existe des espaces de dialogue inclusifs et participatifs entre le secteur privé, le gouvernement et la société civile, les bases économiques de la paix se mettent en place", a-t-elle ajouté.
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