1 décembre 2020

L'accès au financement est essentiel pour les femmes entrepreneurs

by Dr. Fahmida Khatun / in Tribune libre

Au Bangladesh, la COVID‑19 est plus lourde de conséquences pour la main‑d'œuvre féminine

Au Bangladesh, la participation des femmes à la main‑d'œuvre a augmenté au fil du temps, passant de 24% en 2000 à 36% en 2020, d'après les chiffres de l'Office de la statistique du Bangladesh. La majorité (60%) de la main‑d'œuvre féminine travaille dans le secteur agricole, 24% dans les services, 17% dans l'industrie et 15% dans le secteur manufacturier.

Cet accroissement de la participation à la main‑d'œuvre a renforcé le pouvoir des femmes bangladaises. Il a eu un effet largement bénéfique sur leur situation au sein de la famille. Nombre de ces femmes peuvent à présent exprimer leurs opinions dans le cadre des décisions familiales. Leur état nutritionnel s'est amélioré. Leur revenu contribue à l'éducation des enfants. Les mariages d'enfants et la mortalité maternelle et infantile ont diminué. Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) ont joué pour beaucoup dans les changements qui se sont opérés dans les vies économiques et sociales des femmes. Les programmes de microcrédit de nombreuses ONG ont donné aux femmes la possibilité de mener des activités génératrices de revenus. En outre, les politiques publiques ont été porteuses.

Entrepreneuriat et pandémie

Bon nombre de femmes sont des entrepreneurs indépendantes propriétaires d'entreprises artisanales et de micro, petites et moyennes entreprises (MPME). Elles travaillent dans des secteurs tels que l'industrie artisanale, l'agriculture, la production d'articles en jute, la fabrication de vêtements et d'accessoires, la vente de détail, la confection, la beauté, la santé et les services connexes, l'électronique/l'informatique et les logiciels, et les entreprises en ligne.

Ces entreprises ont été touchées car les chaînes d'approvisionnement nationales et les chaînes de valeur mondiales ont été ébranlées par des chocs sous l'effet de la COVID‑19. Cette situation s'est traduite par des pertes d'emplois et de recettes et par l'épuisement des économies, qui ont à leur tour mené à la réduction des dépenses des ménages et de l'ampleur des opérations commerciales.

En outre, les activités économiques ont fortement diminué, ce qui a affaibli la demande. Selon les estimations officielles, la croissance du PIB pendant l'exercice 2019‑2020 s'est établie à 5,24%, contre les 8,15% prévus précédemment. Les organisations internationales ont elles aussi prévu que la croissance du PIB du Bangladesh serait inférieure aux estimations, le Fonds monétaire international ayant estimé cette croissance à 3,8% et la Banque mondiale à 1,6%.

La consommation est en forte baisse depuis que le pays a rouvert en juin 2020, ce dont les entreprises détenues par des femmes se ressentent. Toutefois, quand bien même la demande aurait été supérieure, les femmes entrepreneurs n'auraient pas pu y répondre car elles n'ont pas pu assurer la continuité de leurs activités en raison de la perte de capital essuyée pendant la pandémie.

Résultats des enquêtes

Bon nombre de femmes ont dû mener leurs activités à moindre échelle et bien d'autres ont dû les cesser. Selon une enquête menée en octobre 2020 par le Centre pour le dialogue politique, sur 70 entreprises artisanales et MPME détenues par des femmes au Bangladesh, 49% ont continué à fonctionner après la flambée de coronavirus alors que 41% ont dû fermer purement et simplement. Parmi celles qui avaient loué des locaux, 53% ont pu payer leur loyer régulièrement et 44% n'en ont pas été capables. En outre, il ressort de l'enquête que 23% des entreprises artisanales et MPME détenues par des femmes ont réduit le salaire de leurs employés de quelque 25%, tandis que 47% n'ont pas réduit ce salaire.

Une enquête menée en juillet 2020 par le Comité de promotion des régions rurales du Bangladesh auprès de 589 femmes entrepreneurs a révélé que 90% d'entre elles s'étaient heurtées à des difficultés découlant de la COVID‑19 et que 41% avaient licencié des employés à cause d'une réduction importante de leurs revenus. Les deux tiers des interrogées ont dit n'avoir gagné aucun revenu et un tiers ont dit n'avoir pas pu faire fonctionner leur entreprise pendant la pandémie. Fait inquiétant, 86% d'entre elles ont indiqué qu'elles n'avaient aucune solution aux difficultés relatives à leurs entreprises.

Accès au financement?

Depuis mars 2020, le gouvernement a annoncé plusieurs plans de relance, d'une valeur de 12,11 milliards de dollars des États‑Unis, ce qui équivaut à 3,7% du PIB. Plus de 80% de ces plans comprennent un soutien en matière de liquidités dans le cadre duquel les banques accorderont des prêts aux entreprises et aux secteurs touchés.

Cependant, ces plans n'ont pas ciblé correctement les besoins des femmes entrepreneurs. Sur le montant total de ces plans, 2,35 milliards de dollars des États‑Unis, soit 0,72% du PIB, ont été alloués aux entreprises artisanales et MPME. 5% de cette somme a été attribuée à des entreprises artisanales et à des MPME détenues par des femmes. Les prêts accordés à ces entreprises par les banques commerciales sont assortis d'un intérêt de 9%, 5% devant être payé par le gouvernement et 4% par l'emprunteur.

Les femmes entrepreneurs peinent à accéder aux fonds des plans de relance; l'accès au financement au moyen du système bancaire officiel a toujours été difficile pour les femmes, car elles n'ont aucune garantie pour couvrir leurs prêts. Malgré le conseil de la Banque centrale du Bangladesh, les banques commerciales rechignent généralement à accorder des prêts aux entreprises artisanales et aux MPME car elles n'en tirent aucun avantage économique. Pendant la pandémie, la banque centrale a conseillé aux banques commerciales d'octroyer des prêts aux entreprises compte tenu des relations entre la banque et son client. La plupart des femmes entrepreneurs ont lancé leur activité en empruntant à des membres de leur famille et n'ont donc aucun antécédent en tant qu'emprunteur. Il est donc probable que ces femmes entrepreneurs ne puissent pas recevoir de prêts au titre de ce plan.

En outre, les renseignements font défaut. Nombre de femmes entrepreneurs n'ont pas connaissance du plan de relance. Même celles qui en ont entendu parler ne demandent pas ces prêts, et ce principalement car peu de femmes connaissent les procédures de demande de prêt et celles qui les connaissent les trouvent complexes. Par ailleurs, les femmes entrepreneurs sont mécontentes de l'attitude discriminatoire qu'ont les banques à leur égard. De manière générale, même pour les hommes entrepreneurs, le décaissement des fonds prévus au titre du plan de relance pour les entreprises artisanales et MPME a été très lent, pour les raisons évoquées précédemment: les banques considèrent que le coût opérationnel de l'octroi de prêts à ces entreprises est élevé.

Souvent, les responsables des banques indiquent que l'établissement ne peut pas accorder ces prêts en raison du caractère informel de nombre d'entreprises dirigées par des femmes. Ces entreprises n'ont fréquemment ni licence commerciale ni numéro d'identification fiscale. Le gouvernement a alloué 350 millions de dollars des États‑Unis à titre de plan de relance, dont les fonds sont destinés à être décaissés par l'intermédiaire d'établissements de microfinancement. Étant donné la demande de crédit, il conviendra peut‑être de revoir ce montant à la hausse à mesure que la durée de l'épidémie de COVID‑19 se prolongera.

L'épidémie de coronavirus a alourdi le fardeau des tâches ménagères, y compris les tâches de soin. En outre, la violence à l'égard des femmes s'est accrue. Les résultats que les femmes bangladaises avaient obtenus pourraient être réduits à néant par les conséquences négatives de la pandémie. Un accès sans heurt au financement est essentiel pour que les femmes entrepreneurs touchées reprennent leur activité à plein régime et retrouvent leurs acquis. L'augmentation du PIB et la création d'emplois qui découleront de cette amélioration feront progresser l'économie.

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Dr. Fahmida Khatun est la Directrice exécutive du Centre pour le dialogue politique, au Bangladesh.

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