27 avril 2020

Comment les ministres africains du commerce peuvent ils contribuer à la lutte contre la COVID 19? Enseignements tirés de l'expérience d'Ebola

by Axel Addy / in Tribune libre

Les ministres du commerce jouent un rôle essentiel dans la réponse à la pandémie

La COVID‑19 perturbe les vies en Afrique et ses incidences économiques se font sentir à bien des égards. Dans les pays les moins avancés (PMA) du continent, les ministres du commerce peuvent agir immédiatement pour atténuer les perturbations qui affectent à la fois la santé et les moyens d'existence, en complément du soutien et de la coopération internationaux.

Les PMA africains sont déjà vulnérables du fait de leurs taux de pauvreté élevés, d'un faible taux d'alphabétisation, d'une situation d'insécurité alimentaire, de ressources sanitaires limitées et d'une infrastructure médiocre. Au vu plus des 30 000 cas de COVID‑19 recensés en Afrique, bon nombre de pays prennent des mesures de confinement pour empêcher la propagation du virus. Ces perturbations soudaines des échanges commerciaux essentiels obligent les ministres du commerce à apporter eux aussi une réponse.

Dans de nombreux PMA en manque de financement, la COVID‑19 pourrait faire rage comme un feu de forêt – transmission rapide et mortalité élevée – sans des approvisionnements suffisants en médicaments, matériel de protection individuelle, respirateurs et produits désinfectants. En tant que facilitateurs du commerce national, régional et mondial, les ministres du commerce doivent contribuer activement à la lutte contre la COVID‑19.

Compte tenu de la pandémie, les PMA sont aujourd'hui confrontés à forte concurrence pour accéder aux chaînes d'approvisionnement et se procurer des produits de première nécessité et des fournitures d'urgence. Les perturbations dues à la COVID‑19 entraîneront probablement un recul du commerce mondial de 13 à 32% en 2020. Les approvisionnements en produits essentiels doivent être assurés pendant la période de faible propagation afin de se préparer au pire des scénarios.

C'est là que l'expérience de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest et les enseignements que le Libéria en a tirés peuvent être utiles pour les ministres du commerce.

Sans un leadership actif, un temps précieux est gaspillé dans des conflits bureaucratiques internes et des mises en scène politiques pendant que les gens souffrent. Les chefs d'État doivent s'employer activement à éviter cela, tout en se focalisant sur une réponse nationale à deux niveaux: la santé et la sécurité, et la gestion économique.

Voici comment.

Protéger la santé:

1. Mener des campagnes de sensibilisation auprès du secteur privé et des parties prenantes du secteur informel pour identifier les mesures d'atténuation. Les stations de lavage des mains se sont multipliées au Libéria pendant la crise liée au virus Ebola. Dans le cadre de la réponse à la COVID‑19, les campagnes nationales de sensibilisation devraient être encouragées.

2. Mobiliser le savoir‑faire du secteur privé pour rationaliser les achats de fournitures d'urgence aux niveaux national et international. Les bureaux civils sont rarement adaptés pour effectuer des achats d'urgence. Le Libéria a exploité les capacités des chaînes d'approvisionnement du secteur privé national pour se procurer les fournitures dont il avait un besoin urgent, parmi lesquelles l'''Ebola Bucket" (une station de lavage des mains constituée d'un seau avec robinet), du chlore pour traiter l'eau et du savon pour se laver les mains, ainsi que des ambulances, des véhicules et des fonds donnés pour soutenir les efforts nationaux. Dans le contexte de la COVID‑19, la production et la distribution des seaux, du chlore et du savon nécessaires pour installer des stations de lavage des mains à tous les points d'entrée constitueraient une intervention utile. L'approvisionnement en masques et en matériel de protection individuelle fabriqués en masse au niveau local par des procédés innovants pourrait s'avérer essentiel.

La clé du succès dans la lutte contre le virus Ebola, en particulier au sein des populations pauvres et vulnérables, a été la forte sensibilisation aux moyens locaux de prévention, de soin et de traitement – compte tenu des ressources limitées.

3. Faciliter l'approbation par les autorités commerciales et douanières pour accélérer les importations nécessaires. La réponse à la COVID‑19 requiert une coordination maximale entre les pays – par solidarité – en donnant du matériel et des fournitures aux régions touchées par la pandémie. Le suivi et le déploiement rapides des stocks pourraient sauver de nombreuses vies.

4. Assurer la coordination avec les parties prenantes pour former le personnel essentiel aux mesures d'atténuation prévues dans le protocole national de réponse. Les fonctionnaires des supermarchés, des usines de fabrication de produits essentiels et des douanes et postes de contrôle douanier doivent tous connaître les protocoles nationaux de protection et de prévention. Cette approche peut garantir que le personnel essentiel dispose des renseignements appropriés pour protéger le public.

Prévenir les difficultés liées au commerce:

1. Garder à l'esprit que l'accumulation de stocks générée par la pandémie pourrait être exploitée par des acteurs privés. Pour limiter les achats de panique, l'accumulation de stocks et la fixation des prix à des niveaux exorbitants pendant la crise liée au virus Ebola, les fonctionnaires libériens chargés du commerce ont rédigé un bulletin d'information mensuel indiquant les stocks des principaux produits de base et les importations prévues. Des bulletins prescrivaient également des prix plafonds à court terme pour le riz et le pétrole afin de réduire les coûts du transport maritime et les prix sur les marchés de produits alimentaires.

S'agissant de la COVID‑19, les pays doivent temporairement contrôler les prix et limiter les volumes des produits de consommation courante dans le pays afin d'éviter l'accumulation de stocks, et surveiller les stocks régulateurs nationaux et les importations prévues afin d'adapter l'utilisation des réserves à la demande du marché. Les mesures non tarifaires devraient être portées à la connaissance du public et des partenaires pour décourager leur utilisation et signaler toute infraction.

2. Surveiller les mesures tarifaires et non tarifaires internationales instituées par les partenaires mondiaux et les acteurs clés qui ont une incidence sur les importations vitales. De nombreux ports ont imposé aux navires provenant de pays touchés par l'épidémie d'Ebola une quarantaine de 21 jours avant l'amarrage, ce qui a retardé les livraisons de riz, qui étaient alors essentielles. Pour remédier à cela, les ministres du commerce extérieur ont exempté de cette mesure de quarantaine les navires dont le personnel restait à bord.

Dans le contexte de la COVID‑19, les fonctionnaires des PMA pour lesquels les importations de produits alimentaires et énergétiques sont vitales doivent assurer un suivi transparent des stocks de réserve avec les partenaires commerciaux, en restant très attentifs aux mesures non tarifaires susceptibles d'entraver les approvisionnements urgents.

3. S'informer activement de toutes les mesures de réponse nationales approuvées pour mobiliser les parties prenantes du secteur privé. Les consultations menées avec les associations de petits commerçants ont permis d'exprimer les préoccupations concernant le virus Ebola, d'informer les populations des nouvelles mesures sanitaires nationales et de sensibiliser davantage les communautés, ce qui a contribué à éviter une crise de l'économie informelle, qui représente 85,8% de l'emploi en Afrique.

De nombreux citoyens de PMA sont des entrepreneurs qui survivent grâce à des transactions journalières. Pour les PMA qui n'ont pas de filet de sécurité solide et qui n'ont pas non plus la capacité de mettre en œuvre un plan de relance pour soutenir leurs populations en grande partie pauvres et vulnérables, les mesures de confinement mettent en péril la sécurité même des États fragiles et de leurs petites entreprises. En ce qui concerne la COVID‑19, il est essentiel d'impliquer les communautés afin de réduire le plus possible le risque de contamination au quotidien. Sinon, il est préférable de sensibiliser les populations aux mesures de prévention et de traitement de la maladie, comme cela a été fait pour le paludisme.

Dans le contexte de la COVID‑19, les fonctionnaires des PMA pour lesquels les importations de produits alimentaires et énergétiques sont vitales doivent assurer un suivi transparent des stocks de réserve avec les partenaires commerciaux, en restant très attentifs aux mesures non tarifaires susceptibles d'entraver les approvisionnements urgents.

4. Inviter les investisseurs importants à évaluer l'impact de la crise sur les activités et proposer des interventions. L'impact de l'épidémie d'Ebola a aussi été ressenti par les principaux investisseurs du Libéria, comme les concessions exportant du minerai de fer et du caoutchouc, entre autres. Ces investisseurs étaient déjà en difficulté en raison de l'instabilité des prix mondiaux des produits de base lorsqu'ils ont subi les conséquences négatives de la crise sanitaire. Le fait de mobiliser ces investisseurs importants pour identifier les acteurs en difficulté est essentiel pour mettre en place des interventions nationales qui contribuent à atténuer les pertes tout en conservant la main‑d'œuvre. Des incitations fiscales, des reports de paiement de redevances et d'autres incitations convenues avec les principaux partenaires d'investissement peuvent être utilisés pour protéger les investissements et les emplois pendant la crise sanitaire.

5. Assurer la coordination avec les ministères des finances et du commerce et les banques centrales afin de maintenir les flux de devises pour les importations de produits essentiels. L'accès des principaux importateurs aux devises est essentiel pour atténuer toute crise liée au commerce. Le manque de liquidités entraîne des pénuries, car il fait augmenter les prix des produits alimentaires et des produits de base tout en limitant les approvisionnements dans le cadre des mesures sanitaires nationales d'urgence. Au Libéria, la coordination entre le Ministère des finances et de la planification du développement, le Ministère du commerce et de l'industrie, l'Administration fiscale du Libéria et la Banque centrale du Libéria a facilité les interventions de la Banque centrale pour gérer les problèmes de liquidité rencontrés par les importateurs de fournitures et de matériel médicaux indispensables à la lutte contre le virus Ebola et pour permettre l'importation de produits alimentaires et de combustibles dans le pays. Ce niveau de coopération sera absolument essentiel dans le cadre des mesures des PMA visant à mobiliser les chaînes d'approvisionnement en réponse à la COVID‑19.

Conclusion

Si elles sont essentielles pour obtenir des résultats, les mesures classiques de distanciation sociale et de confinement pourraient devoir être modifiées pour tenir compte du fait que des populations entières survivent avec moins de 2 dollars EU par jour. Les responsables politiques qui mettent en œuvre des mesures de confinement devraient inciter les organisations communautaires à trouver des approches coopératives pour limiter l'utilisation de la force, qui a tendance à engendrer des émeutes meurtrières.

La clé du succès dans la lutte contre le virus Ebola, en particulier au sein des populations pauvres et vulnérables, a été la forte sensibilisation aux moyens locaux de prévention, de soin et de traitement – compte tenu des ressources limitées. Appliquer les stratégies de prévention et de traitement utilisées pour lutter contre le paludisme dans le contexte de la COVID‑19 et investir dans la sensibilisation constituent des mesures essentielles pour permettre aux PMA de surmonter la crise compte tenu de leurs ressources limitées pour stimuler l'économie et de leurs efforts pour apporter des réponses nationales solides. Collaborer par l'intermédiaire des membres influents des communautés ainsi que des dirigeants, des associations, des associations de négociants du secteur informel et des groupes communautaires pour éduquer les populations et les sensibiliser aux moyens locaux de prévention et de traitement, qui sont les mêmes que ceux qu'elles emploieraient pour lutter contre le paludisme, est essentiel pour sauver des vies dans le futur.

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