10 décembre 2020

Comment le coton et ses coproduits peuvent rendre les petits producteurs africains plus résilients

by Fabrizio Meliadò Thabo Joshua Moea / in Tribune libre

Alors qu'ils doivent s'adapter à la COVID‑19 et à d'autres facteurs exogènes qui influent sur les cours mondiaux de la fibre, les petits producteurs et les transformateurs des PMA pourraient tirer un revenu supplémentaire des coproduits du coton.

Le coton est une culture commerciale destinée principalement à la production de fibres, matières premières utilisées par l'industrie textile. Dans la plupart des pays les moins avancés (PMA) d'Afrique, les fibres brutes sont surtout produites pour l'exportation, générant ainsi des recettes vitales. Mais ces recettes sont très sensibles aux chocs extérieurs qui retentissent sur les prix internationaux.

Les chaînes de valeur coton‑textile, longues et complexes, sont très vulnérables aux facteurs externes. Il s'agit notamment de distorsions des prix internationaux dues à des politiques internes, de la concurrence avec les fibres synthétiques ou artificielles et de chocs tels que l'annulation, en raison de la crise de la COVID‑19, de commandes effectuées par des fabricants de textiles étrangers.

Les annulations de commandes ont eu des répercussions immédiates en Afrique sur plus de 20 millions de petits producteurs de coton et d'opérateurs de la chaîne de valeur. Ainsi que le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad – les quatre principaux PMA producteurs de coton d'Afrique connus sous le nom de groupe "Coton‑4" – l'ont indiqué, environ 70% de la fibre produite en 2020 est bloquée dans les usines, en transit ou dans les ports, et sa qualité pâtit également de l'exposition à des conditions météorologiques extrêmes.

Dans ce contexte, les possibilités de revenus supplémentaires offertes par les investissements dans la transformation d'autres parties du cotonnier, par exemple les tiges, les coques, les graines et la soie courte, peuvent aider les petits producteurs de coton des PMA à faire face à la COVID‑19 et à d'autres chocs externes, à condition qu'ils disposent des technologies, des mesures de soutien et du savoir‑faire nécessaires pour exploiter la valeur liée aux coproduits du coton.

La diversification en faveur des coproduits du coton est susceptible de générer des activités parallèles durables pour la création de revenus et d'emplois en Afrique. Une étude de faisabilité réalisée dans un groupe de PMA africains a permis de tirer les principales constatations suivantes:

Entreprises dirigées par des femmes en Afrique de l'Ouest

Le savon produit à partir de déchets provenant de la transformation du coton en Afrique de l'Ouest est principalement, voire exclusivement, fabriqué par les femmes.

 

Mali, début 2020: Fabrication de savon artisanal à partir de déchets provenant du broyage des graines de coton – Une entreprise dirigée par des femmes 

Les petites entreprises dirigées par des femmes semblent être courantes et majoritaires dans tous les pays du groupe "Coton‑4". De nouvelles données recueillies par une équipe d'experts locaux montrent que les femmes créent des entreprises à proximité des unités de transformation qui broient les graines de coton pour en extraire de l'huile comestible, produisant ainsi le tourteau noir ou blanc. Ce déchet est ensuite utilisé pour produire du savon, dans le cadre d'un processus essentiellement artisanal, comme le montre le tableau ci‑dessous. 

Mali: estimation de la production de savon par unité de transformation (par morceaux de savon de taille moyenne)

Type d'unités

Variables

2018

2017

2016

Industriel

Nombre

2

2

2

Moyenne

863 400

715 000

58 000

Minimum

46 800

30 000

25 000

Maximum

1 680 000

1 400 000

91 000

Total

1 726 800

1 430 000

116 000

Artisanal

Nombre

44

40

40

Moyenne

797 197

978 100

586 925

Minimum

12 000

10 000

10 000

Maximum

9 540 000

8 000 000

5 000 000

Total

35 076 680

39 123 980

23 477 010

 

Rien qu'au Mali, ces activités emploient environ 400 travailleurs saisonniers et génèrent des recettes annuelles moyennes de 262 840 de dollars EU. Dans les autres pays du groupe "Coton‑4", les femmes qui produisent du savon à base de coton perçoivent des revenus similaires.

D'après les enquêtes menées, les marchés du savon disposent d'un potentiel de croissance important, le niveau de satisfaction des femmes quant à la qualité et à la quantité de matière première actuellement disponible est faible à moyen, et la demande de savon est très importante aux niveaux national et régional – un débouché éventuel pour de futures exportations à l'étranger.

Cependant, au moment de la rédaction du présent rapport, ce savon artisanal à base de coton n'est vendu qu'au niveau local à un prix accessible dont bénéficient principalement les familles les plus pauvres. C'est une source de revenus qui fait directement obstacle à l'extrême pauvreté et à l'exclusion sociale, car les productrices appartiennent aux couches les plus pauvres des sociétés rurales.

Cette production locale contribue également à l'amélioration des balances commerciales. Le Mali, par exemple, a importé à lui seul en 2019 pour plus de 2 millions de dollars EU de savon, selon les chiffres de la base de données Trade Map de l'ITC.

 

De gauche à droite: cendres provenant de l'incinération des tiges de coton; tourteaux obtenus à partir de cendres et d'autres résidus graisseux; balles de savon provenant des tiges de coton.

 

Aliments pour animaux à base de coproduits du coton visant à réduire les coûts variables au niveau des exploitations 

 

Dans des pays comme le Bénin et le Tchad, le tourteau obtenu à partir du broyage des graines de coton constitue une source vitale de protéines pour les ruminants.

Entre 2016 et 2018, la production de tourteaux de coton dans des unités de production semi‑industrielles au Bénin est passée de 3 377 à 18 747 tonnes. Cette production était principalement destinée aux exportations intra‑africaines sur des marchés comme ceux du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Au Bénin, les éleveurs locaux ne dépendent pas de ce produit pour nourrir leurs animaux, mais dans d'autres pays de la sous‑région, la demande dépasse largement l'offre locale (par exemple, entre 2010 et 2019, le Burkina Faso a produit en moyenne 99 824 tonnes/an de tourteaux de coton, alors que la demande nationale est estimée à 2,8 millions de tonnes pour répondre aux besoins annuels de plus de 9 millions de têtes de bétail dans le pays).

 

Dans les unités de production semi‑industrielles, les taux de productivité pour les tourteaux de coton et autres coproduits résultant du broyage des graines semblent être plus élevés lorsque ces unités sont gérées par des femmes, comme le montre le tableau ci‑dessous. 

 

Burkina Faso: taux de productivité dans les unités de production semi‑industrielles d'huile de coton, de tourteaux et de savon

 

Femmes

Hommes

Moyenne

Huile de coton (l/t)

153,3

117,6

125

Tourteaux de graines de coton (t/t)

0,8

0,7

0,7

Savon (unités/t)

2 750

 

2 750

 

Les coques de graines de coton peuvent être utilisées comme aliments pour animaux, comme substrat pour la culture des champignons et comme combustibles destinés aux unités de transformation industrielle et semi‑industrielle.

 

Promouvoir l'efficacité énergétique et la transition vers une économie circulaire

Si les experts nationaux de pays comme le Tchad ont souligné à quel point ce coproduit est sous‑exploité au regard de toutes ses potentielles applications, un point commun qui est ressorti des enquêtes sur le terrain en Afrique de l'Ouest pointe le fait que les coques de coton sont surtout utilisées comme combustible pour répondre aux besoins énergétiques des usines de broyage de graines et autres végétaux semi‑industriels.

La combustion des coques des graines de coton, qui représentent environ 45% de la biomasse des graines de coton, assure l'autosuffisance énergétique des unités de broyage dans la mesure où elle génère de la vapeur pour les turbines et les générateurs d'électricité.

Au Burkina Faso, par exemple, une unité de broyage des graines de coton qui fonctionne presque entièrement grâce à l'énergie produite par la combustion des coques de graines de coton produit en un an 20 000 tonnes d'huile de coton destinée à la consommation humaine, 48 000 tonnes d'aliments pour animaux et 24 000 tonnes de tourteaux de coton. Au‑delà du coton, la même usine est aussi équipée pour produire du beurre de karité ainsi que de l'huile de sésame et des tourteaux, grâce à l'énergie générée par la combustion des coques des graines de coton. Cela permet aussi de créer, sur un seul site industriel, 1 300 emplois, sans compter les emplois indirects générés pour les prestataires de services concernés et les travailleurs saisonniers.

 

Conclusions 

Grâce à la collecte de nouvelles données et aux entretiens avec les principaux acteurs, les études menées au Bénin, au Burkina Faso, au Mali, au Mozambique et au Tchad ont permis pour la première fois de dresser un état des lieux de la production et de la commercialisation des coproduits du coton dans ces pays. 

L'analyse comparative est une première étape fondamentale qui ouvre la voie à la planification des projets et des investissements, mais elle constitue aussi une source essentielle de renseignements sur les difficultés et les contraintes qui entravent la capacité de ces pays à exploiter pleinement le potentiel des coproduits du coton.

Selon les études, certaines difficultés sont spécifiques à la chaîne de valeur du coton et nécessitent l'intervention des organismes de réglementation. La production d'huile de coton destinée à la consommation humaine en est un bon exemple. En Afrique de l'Ouest, par exemple, des experts signalent que les importations illégales d'huiles de substitution constituent l'un des principaux obstacles au développement de la filière locale de broyage des graines de coton. 

D'autres contraintes sont liées à des facteurs plus génériques qui entravent le développement agricole des PMA, tels que l'accès limité au crédit, la nécessité de moderniser les voies de transport, l'accès limité à l'électricité et le manque de technologies de transformation modernes. Ces questions exigent probablement des mesures accrues de la part de la communauté internationale du développement.

Malgré les difficultés existantes, les études mettent très nettement en lumière le grand potentiel de développement inhérent aux coproduits du coton dans les PMA producteurs de coton. Ces activités pourraient améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs et des petites entreprises artisanales et semi‑industrielles dans les communautés vulnérables. Investir dans le développement des coproduits du coton pourrait permettre de créer des sources complémentaires de revenus indépendantes des fluctuations des cours internationaux et des perturbations de la chaîne de valeur susceptibles d'affecter la production et l'exportation de fibres.

 

Credits
Header image of cashews in The Gambia - ©Ollivier Girard/EIF
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