17 juin 2019

Passer de la fragilité à la résilience dans le développement du commerce

by Luisa Bernal / in Nouvelles
  • L'importance relative du commerce et le degré de concentration des exportations sont supérieurs à la moyenne dans les pays les moins avancés fragiles.

  • Alors que la diversification économique peut contribuer à une stabilité accrue et permettre de sortir plus facilement des situations de fragilité et de conflit, les pays fragiles sont justement ceux qui ont le plus de difficultés à diversifier leur économie; les programmes visant à appuyer la diversification doivent tenir compte des contextes locaux.

  • L'Aide pour le commerce a contribué à ces efforts; toutefois, les flux sont fortement concentrés entre un petit nombre de bénéficiaires, ce qui soulève des questions quant à l'appui adéquat apporté aux PMA, y compris ceux qui se trouvent dans des contextes fragiles.

En 2030, la majorité de la population pauvre du monde vivra dans des contextes fragiles.

La fragilité est une notion complexe, propre à un contexte et difficile à définir. Sur les 47 pays figurant sur la liste des pays les moins avancés (PMA) de l'ONU, 18 s'identifient comme fragiles et ont signé le New Deal pour l'engagement dans les États fragiles dans le cadre du g7+ – un groupe composé de 20 pays qui échangent des données d'expérience et prônent des processus conduits et pris en charge par les pays pour faire face à la fragilité et aux conflits.

Le g7+ envisage la fragilité selon un spectre divisé en cinq catégories: crise, reconstruction et réforme, transition, transformation et résilience. Ces catégories couvrent cinq objectifs de consolidation de la paix et de renforcement de l'État: légitimité politique, sécurité, justice, fondements économiques et revenus et services. Les principes du New Deal sont inscrits dans l'objectif de développement durable n° 16 qui appelle à la paix, à la justice et à l'instauration d'institutions solides.

 

Carte des PMA membres du g7+

Source: Secrétariat du g7+

Note: Les PMA membres du g7+ sont: l'Afghanistan, le Burundi, les Comores, la Guinée, la Guinée‑Bissau, Haïti, les Îles Salomon, le Libéria, la République centrafricaine (RCA), la République démocratique du Congo (RDC), SAo Tomé-et-Príncipe, la Sierra Leone, la Somalie, le Soudan du Sud, le Tchad, le Timor‑Leste, le Togo et le Yémen.

 

Diversifier les exportations pour plus de stabilité

Dans des contextes fragiles, certaines caractéristiques structurelles essentielles des économies des PMA sont plus prononcées. L'importance relative du commerce est plus grande et les exportations ont tendance à être encore plus concentrées sur quelques produits de base. Les trois principaux produits d'exportation dans ces économies représentent une part de plus de 40% des exportations de marchandises, part qui atteint jusqu'à 99% au Soudan du Sud.

Examinons les fortes fluctuations qu'ont connues les cours des produits de base ces dix dernières années. L'irrégularité des flux commerciaux peut avoir des effets déstabilisateurs. Une composition des exportations marquée par certains produits de base précieux peut inciter à défendre – ou à saper – les institutions publiques et, par conséquent, la qualité des politiques publiques, y compris celles visant à promouvoir un environnement commercial propice au développement du secteur privé et à la diversification économique.

La question de savoir si l'instabilité résultant des fluctuations des flux commerciaux se traduit par un conflit dépend toutefois de facteurs contextuels. Ainsi, pour les PMA membres du g7+, la diversification économique peut contribuer à une plus grande stabilité.

En outre, les politiques qui favorisent l'inclusion et réduisent les inégalités renforcent la résilience des sociétés face au risque de conflit. Les mesures politiques et réglementaires peuvent, par exemple, inciter fermement à s'orienter vers des activités productives plutôt que vers la recherche de rente et améliorer la transparence. L'appui aux petites et moyennes entreprises peut contribuer à faire en sorte que les avantages de la croissance économique soient plus largement distribués.

Une plus grande participation économique, sociale et politique des jeunes et des femmes est essentielle à une plus grande stabilité. Quand les femmes participent aux processus de paix, on constate une augmentation de 35% de la pérennité des accords de paix durant au moins 15 ans.

"L'économie tchadienne repose principalement sur les cultures commerciales (notamment le coton) et les industries extractives (minières et pétrolières). La forte croissance économique – 7,4% entre 2003 et 2015 – était principalement imputable aux ressources pétrolières. Le pays est extrêmement vulnérable aux chocs extérieurs, notamment aux fluctuations des cours des produits de base. Pour diversifier son économie, le Tchad s'appuiera sur des secteurs à fort potentiel d'exportation, en particulier ceux du cuir, du sésame et de la gomme arabique, identifiés dans la mise à jour de l'EDIC du Tchad" a dit Djabre Dadi, représentant du Ministère des mines, du développement industriel, commercial et de la promotion du secteur privé dans la réponse qu'il a fournie dans le cadre de l'exercice de suivi et d'évaluation de l'Aide pour le commerce 2019.

"L'amélioration de l'organisation de ces secteurs contribuera à réaliser des économies d'échelle plus importantes, ce qui concourrera à une meilleure intégration dans les chaînes de valeur mondiales", a‑t‑il ajouté.

 

Concentration des exportations dans les PMA membres du g7+

Source: UNCTADstat, site consulté en février 2019.

Note: Des valeurs d'indice plus élevées indiquent une plus forte concentration des exportations sur quelques produits. Les données pour le Soudan du Sud ne sont pas disponibles. RCA désigne la République centrafricaine; RDC la République démocratique du Congo; et STP Sao Tomé-et-Príncipe.

 

Un environnement institutionnel et réglementaire favorable, des infrastructures productives adéquates et le capital humain se sont révélés essentiels à la diversification économique. Or ces domaines sont mis en péril par la fragilité et les conflits. Les difficultés de la diversification sont donc particulièrement aiguës dans de tels contextes.

"La République démocratique du Congo souffre d'un manque d'infrastructures de soutien à la production et à la commercialisation des biens et services, rencontre des difficultés à assurer la connectivité des différentes entités et dispose d'un approvisionnement énergétique insuffisant", a dit Charles Lusanda Matomina, le coordonnateur de l'unité nationale de mise en œuvre du Cadre intégré renforcé (CIR) au Ministère du commerce extérieur de RDC dans le cadre de l'exercice de suivi et d'évaluation de l'Aide pour le commerce 2019.

Unir ses forces

Il n'existe pas de solution universelle. Les programmes de soutien à la diversification de l'économie et des exportations doivent tenir compte des contextes locaux, former des coalitions à des fins de réforme et contribuer aux efforts plus larges de renforcement de l'État. Les gouvernements des PMA sont au cœur de leurs initiatives nationales de diversification économique pour le développement du secteur privé, la création d'emplois et la réduction de la pauvreté.

La communauté internationale du développement a également un rôle à jouer. Pour les pays les plus pauvres, l'aide demeure une source importante de financement extérieur. Néanmoins, les flux de l'Aide pour le commerce sont fortement concentrés sur un petit nombre de bénéficiaires, de partenaires de développement et de secteurs. Cette tendance est encore plus marquée pour les PMA membres du g7+. Par exemple, les quatre principaux PMA membres du g7+ reçoivent plus de la moitié des flux de l'Aide pour le commerce destinés à ce groupe. Ce niveau élevé de concentration soulève des questions quant au degré d'appui adéquat apporté aux autres PMA membres du g7+.

De fait, il reste encore à trouver de meilleures façons de soutenir ceux qui en ont le plus besoin. La Banque mondiale met au point sa future stratégie Fragilité, conflit et violence, tandis que le Fonds monétaire international renforce son appui aux pays fragiles et touchés par des conflits. Cette évolution est encourageante dans la mesure où l'appui aux contextes fragiles fait l'objet de nouvelles approches et d'une attention soutenue.

Le septième Examen global de l'Aide pour le commerce de l'Organisation mondiale du commerce, qui se tiendra du 3 au 5 juillet 2019, offre une occasion unique de réfléchir à la manière dont les activités de développement du commerce peuvent contribuer à tenir la promesse mondiale de ne laisser personne de côté.

 

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* Luisa Bernal is Policy Specialist, Trade and Sustainable Development, United Nations Development Programme. Daria Shatskova is Programme Officer, Enhanced Integrated Framework.

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Cette série a été financée par le gouvernement australien par l'intermédiaire du Département des affaires étrangères et du commerce. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement australien.

 

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