4 février 2021

Baisses de salaires et heures supplémentaires forcées: le lourd tribut de la COVID-19 pour les travailleurs du secteur du vêtement en Éthiopie

by Emeline Wuilbercq / in Nouvelles

 Initialement publié par Thompson Reuters Foundation News le 22 décembre 2020

Les travailleurs font état d'une nouvelle dégradation de leurs conditions d'emploi à un moment où les usines, avec peu de personnel, tentent de récupérer les commandes perdues au début de la pandémie

HAWASSA, Éthiopie, 22 décembre (Thomson Reuters Foundation) – Même avant la COVID-19, les couturières du parc industriel d'Hawassa, en Éthiopie, faisaient partie des travailleurs du vêtement les moins bien payés au niveau mondial – avec moins de 30 dollars par mois.

Aujourd'hui, les baisses de salaires et les heures supplémentaires forcées sont devenues monnaie courante dans des usines fonctionnant avec peu d'employés, après le départ de centaines d'entre eux – certains avaient trop peur d'attraper le coronavirus en revenant sur place, ont dit plusieurs personnes à la Thomson Reuters Foundation.

Tigist, une couturière de 20 ans, a dit que certaines de ses collègues n'étaient pas revenues à Hawassa après avoir été mises au chômage technique dès les premiers mois de la pandémie, à un moment oùl'industrie mondiale du vêtement faisait face à d'innombrables annulations de commandes.

Ces derniers mois, des patrons souhaitant récupérer les recettes perdues ont forcé les employés encore présents à travailler d'arrache-pied pour pallier l'absence des autres, ont déclaré Tigist – dont le nom a été modifié pour protéger son identité – et d'autres travailleurs.

"Nous avons dû travailler (plus) pour compenser le manque d'effectifs", a dit Tigist dans la minuscule pièce vide qu'elle loue avec une autre travailleuse pour 275 birr (environ 7 dollars) par mois chacune – soit près de la moitié de son salaire mensuel de 650 birr."

"Nous aussi nous avons peur d'attraper le virus, mais nous devons continuer parce que nous n'avons pas le choix", a-t-elle dit, ajoutant qu'elle devait travailler pour éviter d'être un "fardeau" pour sa famille, pauvre, qui vit dans un village du sud.

Depuis la fin du chômage technique, elle dit travailler six heures de plus par semaine – un travail pour lequel elle n'est pas rémunérée, recevant juste en contrepartie, occasionnellement, des cartes de recharge de 0,13 dollar pour son téléphone portable.

Au moins cinq autres femmes ont décrit des expériences similaires depuis la réouverture des usines.

Elles ont dit qu'elles travaillaient pour des fabricants comme KGG Garments PLC et Indochine Apparel PLC, qui approvisionnent de grandes marques comme The Children's Place et Levi Strauss & Co.

Un responsable de KGG Garments PLC et le Directeur des ressources humaines d'Indochine Apparel PLC ont nié les allégations des travailleurs concernant des heures supplémentaires non rémunérées et forcées et ont dit que leurs usines n'avaient pas fermé pendant la pandémie.

Fitsum Ketema, Directeur général du parc industriel d'Hawassa, a déclaré: "il n'y a aucune pratique de ce type dans notre parc".

"Nos entreprises gèrent leurs affaires conformément à la loi du pays", a dit M. Ketema dans un SMS.

The Children's Place et Levi Strauss & Co n'ont pas répondu aux demandes de commentaires.

Image: Un ouvrier à Hawassa, Ethiopie Reuters / Tiksa Negeri Ethiopia Reuters / Tiksa Negeri

Les salaires les plus bas

Plus d'une dizaine de parcs industriels ont été construits en Éthiopie ces dernières années, dans le cadre de programmes ambitieux visant à faire de ce pays pauvre, principalement agricole, une puissance manufacturière, attirant les investisseurs grâce à des réductions d'impôts, des prêts bon marché et des coûts de main-d'œuvre bas.

Le parc industriel de Hawassa, qui se trouve à quelque 275 kilomètres au sud de la capitale, Addis‑Abeba, a été inauguré en 2016 et employait environ 28 000 travailleurs avant l'épidémie.

La plupart des usines du parc fonctionnent à nouveau à leur capacité d'avant la pandémie.

On a pu voir des groupes de femmes – pour beaucoup, sans masques – en train de sortir du parc, bras dessus bras dessous, à la fin de leur journée de travail, le mois dernier.

Certaines étaient de nouvelles recrues, récemment engagées pour remplacer celles qui n'étaient pas revenues après la période de chômage technique – certaines effrayées par le virus, d'autres découragées par les mauvaises conditions de travail.

Des associations ont dénoncé des conditions proches de l'esclavage et des rémunérations médiocres, dans ces zones industrielles où les travailleurs du vêtement, pour la plupart des femmes, reçoivent les salaires les plus bas du monde, d'après un rapport établi par le New York University Stern Center for Business and Human Rights en 2019.

"Le fait que ces travailleurs reçoivent des salaires aussi misérables ... les rend réellement plus vulnérables à la faim et à d'autres formes d'abus dans le cadre du travail", a déclaré Penelope Kyritsis, Directrice de la recherche stratégique dans le groupe de surveillance du Worker Rights Consortium, basé aux États-Unis.

Besoins élémentaires

Des travailleurs qui se trouvaient à Hawassa lorsque la crise du coronavirus s'est déclarée ont dit qu'ils avaient eu des difficultés à subvenir à leurs besoins élémentaires pendant presque toute l'année – malgré les mesures du gouvernement censées les protéger.

En avril, l'Éthiopie a déclaré l'état d'urgence pour cinq mois, afin de lutter contre le coronavirus et d'en atténuer l'impact, interdisant aux entreprises, y compris les usines de vêtements, de licencier des travailleurs malgré d'importantes baisses des ventes et des commandes. 

Des centaines de travailleurs employés à Hawassa en janvier 2020 ont été mis au chômage technique ou licenciés pendant la pandémie, d'après une enquête téléphonique menée auprès de 3 896 travailleuses du secteur du vêtement entre le 28 avril et le 1er juillet.

Des travailleurs interrogés par la Thomson Reuters Foundation ont dit qu'ils avaient été mis au chômage technique avec un traitement réduit, ce qui avait contraint certains à sauter des repas ou à acheter des produits alimentaires à crédit. La plupart vivent dans des taudis à proximité de la zone industrielle, partageant de petites chambres souvent sans accès à l'eau potable.

Tigist a dit qu'elle touchait 450 birr (11,65 dollars) par mois – soit les deux tiers de son salaire normal – et avait eu "du mal à joindre les deux bouts", et donc qu'elle était rentrée dans son village jusqu'à la réouverture de son usine.

D'autres, comme Birtukan (24 ans), a dit que son salaire avait été réduit depuis son retour après 21 jours de chômage technique.

Elle a dit que son employeur avait déduit de son traitement une indemnité mensuelle pour l'alimentation – ce qui représentait une baisse de 20% du salaire. La prime pour les travailleurs qui atteignent l'objectif de production avait également été revue à la baisse.

Lorsqu'elle et ses collègues se sont plaints, leurs responsables leur ont dit qu'elles pouvaient démissionner si elles n'étaient pas satisfaites – pratique courante visant à dissuader les travailleurs de se plaindre.

"On nous a dit d'être patients", a dit Birtukan (dont le nom a également été modifié pour protéger son identité), allaitant son nourrisson.

Des militants et des syndicalistes ont dit que l'établissement d'un salaire minimum légal contribuerait à protéger les travailleurs contre de tels abus, bien que la réticence des pouvoirs publics et la COVID‑19 aient stoppé le processus.

La pandémie a aussi rendu plus urgente la constitution de syndicats, qui n'a que trop tardé à Hawassa et dans d'autres parcs industriels, d'après les associations de militants.

"Plus les travailleurs unissent leurs forces", plus ils ont de chances de régler les problèmes apparus suite à la pandémie", a dit Angesom Gebre Yohannes, chef de la Fédération industrielle des Syndicats éthiopiens du textile, du cuir et du vêtement.

Toutefois, pour certains travailleurs du vêtement, comme Birtukan, les chances de voir rapidement des améliorations sont minces, tant que la pandémie sévit.

"Je ne sais pas trop quand les choses reviendront à la normale", dit-elle. "Si la pandémie dure et que l'entreprise ne réalise pas de bénéfices, à quoi pouvons-nous nous attendre?"

Ce document a pu être établi grâce à l'aide financière du gouvernement du Royaume-Uni; cependant, les vues exprimées ne reflètent pas nécessairement les politiques officielles dudit gouvernement.

 

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