5 octobre 2021

Résidus de pesticides: l'enjeu d'un commerce sûr

by Marlynne Hopper / in Tribune libre

Développer la collaboration et multiplier les études pour stimuler les exportations de produits agroalimentaires des pays en développement

À la croisée de l'agriculture, du commerce et de la sécurité sanitaire des produits alimentaires, les pesticides sont un sujet brûlant.

Les pesticides sont souvent à l'origine de problèmes d'ordre commercial concernant les exportations de produits agroalimentaires des pays en développement, y compris les fruits tropicaux et les légumes. Le premier écueil est qu'il existe très peu de limites maximales de résidus (LMR) pour ces cultures dites "mineures", qui sont si importantes pour les petits agriculteurs et les pays en développement. Le deuxième écueil est que même lorsque des LMR sont fixées, elles diffèrent souvent des normes internationales de sécurité sanitaire des produits alimentaires définies par la Commission FAO/OMS du Codex Alimentarius (ou Codex). Lorsque des pays importateurs fixent leurs propres limites à des niveaux inférieurs, cela accroît fortement les coûts et complexifie grandement le commerce.

 

Dans le cadre du Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) de l'OMC, l'attention est souvent portée sur des problèmes commerciaux liés aux LMR de pesticides. Entre 2000 et 2018, environ 20% de l'ensemble des notifications SPS présentées par les Membres de l'OMC ont porté sur les LMR de pesticides.

 

Créé en 1963, le Codex a élaboré des centaines de normes, de directives et de codes reconnus à l'échelle internationale, et défini des milliers de niveaux d'additifs, de contaminants et de résidus chimiques autorisés dans les produits alimentaires, y compris des LMR de pesticides.

Pesticides, agriculture, commerce et santé

Les agriculteurs du monde entier dépendent des pesticides pour protéger les cultures des parasites des végétaux et augmenter les rendements, ce qui est essentiel pour assurer leurs moyens de subsistance et la sécurité alimentaire. Avec le changement climatique, de nouveaux risques phytosanitaires et de nouvelles incertitudes apparaissent constamment et ces produits sont donc nécessaires pour lutter contre les risques phytosanitaires existants et émergents, tels que ceux associés à la chenille légionnaire d'automne, arrivée en Afrique de l'Ouest en 2016 et qui cause d'énormes dégâts.

Les consommateurs se soucient des conséquences de l'utilisation des pesticides pour la santé humaine et l'environnement de façon plus large. Dans les pays en développement, où les agriculteurs n'ont souvent accès qu'à des pesticides d'ancienne génération, ne disposent pas d'équipements de protection individuelle adéquats et ne sont pas en mesure de lire ou de comprendre les étiquettes qui donnent les consignes de sécurité, les risques associés à une mauvaise manipulation et une mauvaise utilisation des pesticides sont encore plus importants.

Si les infrastructures ne sont pas adéquates et que les ressources sont insuffisantes, les pesticides finissent aussi parfois dans les lieux les plus improbables. Une étude régionale de l'alimentation totale menée au Cameroun, au Bénin, au Mali et au Nigéria – par la FAO et les autorités gouvernementales, l'OMS et l'Institut Pasteur, grâce au financement du Fonds pour l'application des normes et le développement du commerce (STDF) – a mis en évidence de fortes concentrations de résidus de pesticides dans le poisson fumé consommé au Mali et faisant l'objet d'un commerce régional. L'étude s'appuyait sur des données sur la contamination des aliments, croisées avec des données sur les consommateurs de la population ciblée. Elle a montré que les petits négociants, ne disposant pas d'installations d'entreposage adéquates, avaient recours à un pesticide appelé le chlorpyrifos pour éloigner les insectes de leur poisson fumé sur les marchés, générant ainsi sans le savoir des risques pour la santé humaine.

Certaines cultures sont jugées trop "mineures" par les sociétés fabriquant des pesticides pour justifier des investissements dans de coûteux essais en plein champ, l'enregistrement et la communication d'ensembles de données au Codex..

Les perspectives: combler les lacunes dans les données sur les résidus de pesticides

La collaboration public‑privé fonctionne pour développer les programmes relatifs aux résidus et améliorer le respect des normes du Codex

Les pays développés cessent progressivement d'utiliser les pesticides de deuxième et de troisième génération. Or les agriculteurs africains n'ont guère d'autre choix que d'utiliser des produits chimiques plus anciens car il existe peu de LMR fixées par le Codex pour les pesticides plus récents et moins toxiques pour leurs cultures spécialisées. Très peu de données sur les résidus sont produites dans les pays en développement pour permettre l'établissement de LMR et favoriser l'enregistrement de nouveaux produits, en raison des coûts accrus et des marges bénéficiaires plus faibles anticipées.

 

Dans le cadre d'un projet du STDF mené au Ghana, au Kenya, en Ouganda, au Sénégal et en Tanzanie, les gouvernements se sont associés avec le fabricant multinational de pesticides Corteva (Dow), l'association d'industriels CropLife International, des agriculteurs et des partenaires internationaux en vue d'une étude sur les résidus portant sur le sulfoxaflor, un pesticide de nouvelle génération utilisé pour la culture de mangues, une culture d'exportation dont dépendent de nombreux petits agriculteurs d'Afrique de l'Ouest pour leur subsistance.

 

Cette étude a été une grande réussite pour toutes les parties prenantes. Des essais en plein champ ont dû être mis en place et réalisés pour surveiller l'utilisation du sulfoxaflor. Des scientifiques et des responsables de la réglementation ont été formés à la production, à l'analyse et à l'interprétation des données sur les résidus de pesticides. Les difficultés imprévues liées à l'infrastructure de laboratoire limitée en Afrique ont été surmontées. Par exemple les pannes de congélateur, qui détruisaient les échantillons et obligeaient à répéter les essais en plein champ.

 

En dépit des obstacles, cette approche collaborative a finalement été un succès. Les partenaires du projet ont mené à bien l'étude des résidus, l'ensemble complet de données concernant le sulfoxafor et la mangue ayant été communiqué au Codex et une nouvelle LMR devant paraître en 2022. En Tanzanie et en Ouganda, le secteur privé a enregistré ce nouveau pesticide présentant des risques moindres, en 2019 et 2020 respectivement, et la procédure est en cours dans les autres pays. Cette expérience a ouvert la voie à l'adoption de nouvelles lignes directrices régionales en faveur de l'harmonisation des procédures d'enregistrement des pesticides au sein de la Communauté d'Afrique de l'Est, et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) souhaite vivement reproduire l'expérience.

 

Sur le terrain, l'accès au sulfoxafor va aider les agriculteurs à lutter plus efficacement contre les mouches de fruits et à respecter les normes internationales, ce qui permettra un commerce sûr et occasionnera des gains de productivité agricole et l'amélioration de la salubrité environnementale et de la sécurité des consommateurs.

 

Offrir des incitations appropriées

 

Les expériences de ce projet régional sur les LMR en Afrique et d'autres projets similaires financés par le STDF en Amérique latine et en Asie ont mis en évidence l'intérêt des partenariats public‑privé pour combler les lacunes en matière de données, réaliser des économies et améliorer les résultats. La mise en commun des données a aussi contribué à dégager des ensembles de données plus solides, reflétant la diversité géographique et climatique. Une évaluation externe a souligné la manière dont ces projets catalysaient la collaboration public‑privé pour renforcer les connaissances et les capacités en matière de LMR de pesticides, dans l'intérêt des pays en développement.

 

Mais ces expériences ont aussi montré ce qui arrive lorsque les incitations en faveur de l'implication du secteur privé sont faibles, en particulier dans les pays les plus pauvres qui devraient en bénéficier le plus. Par rapport à l'Amérique latine et à l'Asie, où les multinationales ont été plus fortement incitées à s'associer aux autorités gouvernementales pour réaliser des études sur les résidus, en Afrique, il a été bien plus difficile d'impliquer durablement les fabricants de pesticides, parallèlement aux problèmes de l'accès aux pesticides, de l'expertise et des autres ressources.

Besoin de solutions plus durables pour remédier aux lacunes en matière de capacités des laboratoires

Dans les pays en développement et les pays les moins avancés, il y a un besoin urgent de solutions innovantes et durables pour remédier aux lacunes en matière de capacités des laboratoires. Parfois, le problème vient simplement d'un manque d'infrastructures et d'équipements de laboratoire de base. D'autres fois, des équipements sophistiqués peuvent être disponibles mais sans qu'il il y ait suffisamment de techniciens qualifiés pour les faire fonctionner ou bien il n'y a pas le budget requis pour les réactifs et les fournitures nécessaires pour procéder à des essais diagnostiques.

Une autre difficulté tient au fait que les différents types de tests requièrent différents types de connaissances spécialisées. Les centres d'excellence régionaux, qui mettent en commun l'expertise et les ressources, ont été proposés comme solution plus durable. Par exemple, une évaluation externe d'un projet du STDF visant à réduire les résidus de pesticides dans le cacao a recommandé à la CEDEAO de créer un projet pilote de "centre d'expertise" régional spécialisé dans le contrôle des résidus de pesticides, afin de favoriser les économies d'échelle. Développer l'infrastructure de laboratoire pour renforcer les systèmes de contrôle des produits alimentaires – y compris des laboratoires d'essai régionaux de référence – constitue l'une des composantes clés du cadre d'action SPS continental de l'Union africaine. Une plus grande collaboration entre le public et le privé pourrait améliorer les résultats et la durabilité.

Ce sont les financements nécessaires qui font défaut pour mettre en place et lancer de telles initiatives.

Renforcer les systèmes de sécurité sanitaire des produits alimentaires est essentiel pour protéger la santé publique et garantir la sécurité alimentaire

 

Les consultations en vue du Sommet sur les systèmes alimentaires 2021 ont mis en évidence la nécessité de renforcer l'accès à des aliments sûrs et nutritifs à des prix abordables, et le rôle primordial d'un commerce sûr pour parvenir à une croissance économique durable, réduire la pauvreté et garantir la sécurité alimentaire.

 

C'est en Afrique que l'on enregistre les plus forts taux d'incidence de maladies d'origine alimentaire: d'après l'OMS, celles‑ci causent 137 000 décès par an et on recense 91 millions de cas de maladie. Avec l'Accord sur la zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECA) et la croissance rapide du commerce régional de produits agroalimentaires, des investissements bien plus conséquents sont nécessaires pour améliorer la sécurité sanitaire des produits alimentaires dans le secteur public et le secteur privé.

 

La réalisation de réels progrès dépendra de l'engagement effectif de diverses parties prenantes des domaines de l'agriculture, de la santé, de l'environnement, du commerce et du développement, et, en parallèle, du renforcement des capacités et de la résolution des problèmes interdépendants qui se posent dans de multiples domaines. L'intensification des mesures concernant les résidus de pesticides et le renforcement des capacités de laboratoire ne représente qu'une partie de la solution.

 

‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑

 

Pour en savoir plus:

 

 

Avertissement
Any views and opinions expressed on Trade for Development News are those of the author(s), and do not necessarily reflect those of EIF.