4 mars 2020

Le temps est venu de lancer des initiatives audacieuses pour lutter contre les inégalités et le changement climatique

by Filippos Pierros / in Tribune libre

À propos du "pacte vert pour l'Europe", de la conversion au vert du développement international et de la lutte contre les inégalités 

*** Initialement publié le 31 janvier 2020 sur le site Development Matters de l'OCDE. ***

 

Face à l'échec retentissant des Conférences des Parties (COP) de l'ONU, qui ne parviennent pas à susciter une action internationale forte contre le changement climatique et les inégalités, des citoyens préoccupés par cette question dans le monde entier commencent, à raison, à afficher leur frustration et même leur colère. Cependant, l'un des principaux donateurs d'aide internationale à revenu élevé a enfin, lors de la dernière année avant la nouvelle décennie, publiquement proclamé qu'il prendrait toutes ses responsabilités et proposerait un changement radical.

La nouvelle Commission européenne a promis de présenter un "pacte vert pour l'Europe" qui transformera profondément les fondements mêmes de l'économie de l'UE. Il est clairement prévu que ce pacte vert ait une incidence en matière de lutte contre les inégalités ainsi que de développement. L'UE "peut utiliser son influence, son expertise et ses ressources financières pour inciter les pays de son voisinage et ses partenaires à la rejoindre sur une trajectoire durable." Elle annonce une "diplomatie du pacte vert" renforcée, visant en priorité à soutenir le développement durable au niveau mondial, à dialoguer avec les pays pour mettre fin aux subventions en faveur des combustibles fossiles, à éliminer progressivement les infrastructures fonctionnant à partir de combustibles fossiles, à investir dans le financement de l'action climatique et dans la résilience climatique, à promouvoir une réglementation verte et à créer un marché international du carbone afin d'offrir des incitations propices aux réformes.

Le pacte vert englobera la transition stratégique menée depuis une décennie par la Commission vers le développement durable et en renforcera davantage la visibilité, ainsi que les travaux réalisés précédemment avec les partenaires de développement dans le domaine de la durabilité. L'UE mène déjà une coopération en matière de développement dans les régions les plus durement touchées par le changement climatique, principalement des pays les moins avancés (PMA) en Afrique et, ailleurs, de petits États insulaires en développement (PEID). En outre, l'UE a déjà conclu une alliance avec l'Union africaine pour des emplois et des investissements durables. Compte tenu de cette solide base de départ, l'UE devrait s'assurer d'au moins deux choses. Premièrement, le développement international vert devrait devenir un élément plus central et plus important de son pacte vert, car ce que le monde recherche réellement, c'est un chemin clairement tracé vers une nouvelle forme de modernisation. Deuxièmement, l'UE devrait davantage souligner que les politiques d'atténuation des changements climatiques non progressives peuvent porter préjudice à certaines populations et faire reculer le programme environnemental. En effet, il n'est possible de faire face au changement climatique à l'échelle de l'UE que si ce problème est traité partout. Il est impératif de lier la lutte contre le changement climatique au problème des inégalités. On sait bien que les pays en développement qui contribuent le moins au changement climatique souffriront des conséquences les plus lourdes. Toutes les formes d'inégalités préexistantes seront aggravées par la crise climatique partout dans le monde.

Penchons‑nous sur les chiffres. Il a été rapporté qu'entre 1990 et 2015, le nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté dans le monde a chuté, passant de 1,9 milliard à 836 millions. Les inégalités entre les pays se seraient réduites, en moyenne, au cours des quelques dernières décennies. De nouvelles études nous ont maintenant appris que cette réduction des inégalités à l'échelle mondiale est bien moindre que ce qu'elle aurait être au cours de cette période. Malgré une croissance rapide, le PIB de l'Inde est actuellement inférieur de 30% à ce qu'il devrait être et celui du Brésil l'est de 25%. À qui la faute? Le réchauffement de la planète, le changement climatique, la crise climatique – ou quel que soit le nom que vous lui donniez – serait au cœur de ces problèmes. Il menace d'anéantir les progrès réalisés dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le développement et a déjà accru les inégalités économiques au niveau mondial d'environ 25% au cours des 50 dernières années, en entraînant des répercussions sur la croissance économique annuelle, une baisse de la production économique dans les pays les plus pauvres et les plus chauds, et une probable augmentation de la production dans les pays froids qui sont déjà riches. S'agissant de la répartition du PIB par habitant au niveau des pays et pondéré en fonction de la population, pour les quatre déciles les plus pauvres, le PIB a connu une baisse comprise entre 17% et 36%, ce qui a créé un ratio entre les déciles inférieurs et supérieurs qui est 25% plus élevé que ce qu'il aurait été dans un monde non touché par la crise climatique. Les zones équatoriales et chaudes de la planète, qui figurent en bas de la liste des émetteurs de gaz à effet de serre (GES), souffrent non seulement de façon plus marquée des effets de ces émissions que les pays qui en sont principalement responsables, mais leurs efforts de développement sont en outre entravés par une perte de productivité résultant du changement climatique, les répercussions de celui-ci en matière de santé et son impact sur l'agriculture. Entre 1998 et 2017, 8 des 10 pays les plus touchés par des phénomènes météorologiques extrêmes étaient des pays à faible revenu (PFR) et des pays à revenu intermédiaire (PRI) – une situation qui ne fera qu'empirer à mesure que le changement climatique accroîtra la fréquence de ces phénomènes partout dans le monde. De fait, les pays en développement pris au piège de ce cycle dépendent souvent d'une aide extérieure rien que pour réparer les dégâts considérables causés par la dernière catastrophe naturelle, avant d'être touchés par la suivante quelques années plus tard seulement.

Les pays à revenu élevé (PRE) ne devraient toutefois pas rester les bras croisés, car les inégalités entre les pays ne sont pas les seules à être exacerbées par le changement climatique. Toutes les inégalités existant dans le monde – entre les classes, sexes, races, origines ethniques, religions ou autres – sont amplifiées par le changement climatique. Un rapport de l'ONU sur le changement climatique et l'inégalité sociale, publié en 2017, décrit un monde dans lequel les personnes déjà défavorisées sont davantage exposées aux effets climatiques néfastes et seront moins armées pour s'adapter aux dommages causés par ces incidences grandissantes et s'en remettre. Les pays en développement ressentiront plus profondément l'amplification des inégalités internes. Par exemple, en Amérique latine, les inégalités étant dans l'ensemble plus marquées qu'en Europe, les personnes déjà défavorisées subiront plus violemment les répercussions du changement climatique. Cependant, la souffrance grandissante des personnes défavorisées partout dans le monde ne devrait pas s'en trouver réduite. Les femmes, par exemple, subissent déjà une instabilité économique plus importante que les hommes, ce qui est dû à la fois aux attentes sociales et aux disparités des systèmes de protection sociale en ce qui concerne l'éducation des enfants, les services de santé et les programmes alimentaires (pour ne citer que quelques exemples). Vingt-cinq études de cas menées en Afrique et en Asie ont déjà démontré que le changement climatique avait aggravé les inégalités hommes‑femmes existantes.

Comment le pacte vert de l'UE s'attaque‑t‑il à ces problèmes? Tandis que l'UE proposera un mécanisme pour une transition juste et un Fonds pour une transition juste afin de reconvertir les travailleurs employés dans le secteur des combustibles fossiles de l'UE et les régions dépendantes des industries, le pacte devrait être complété par le document de travail des services de la Commission publié en 2019 qui vise à remédier aux inégalités dans les pays partenaires. En plus de faire état des connaissances approfondies de l'UE concernant ces différentes formes d'inégalités, ce document aborde spécifiquement l'intégration de la lutte contre les inégalités dans le domaine du développement. Une de ses sections est consacrée à la résilience climatique et à l'atténuation des changements climatiques. Néanmoins, si le pacte vert de l'UE et son projet de lutte contre les inégalités au moyen du développement peuvent être combinés, cela pourrait précisément créer la base du type de paradigme de développement que l'OCDE a appelé de ses vœux, c'est‑à‑dire un modèle de développement axé sur la durabilité. Un pacte vert pouvant être exporté supprimerait la possibilité de recourir aux actifs non amortis dans les technologies et infrastructures obsolètes liées aux combustibles fossiles au profit de résultats positifs à long terme dans les pays en développement.

En matière de lutte contre la pauvreté et les inégalités, beaucoup a été sacrifié sur l'autel du modèle fondé sur les combustibles fossiles. Tant que le monde restera indécis, ces sacrifices s'aggraveront. Il se peut que le pacte vert de l'UE représente exactement le type de nouveau modèle de modernisation ambitieux permettant d'impulser un changement – qui soit durable et aussi complet que possible. Cependant, pour se distinguer des modèles actuels exclusivement fondés sur le laisser‑faire des marchés ou le rapport de force autoritaire, il doit être doté d'une approche progressive qui lui permettra d'être véritablement efficace (et accepté par les communautés locales qu'il cherche à aider). L'UE est parmi les premiers à passer à la vitesse supérieure et à proposer une réforme historique et cet effort devrait être salué. Mais s'il est question d'un modèle prêt à être exporté ailleurs, alors le développement international durable doit être hissé au rang des priorités dans les programmes de chacun. Comme l'OCDE l'a appris au terme de ses travaux sur l'alignement de l'aide sur l'Accord de Paris, nous ne pouvons pas nous permettre des investissements et une mise en œuvre en matière de développement qui ne respectent pas les Objectifs de développement durable. Un pacte vert exportable et progressif – si l'ambition de l'UE est effectivement à la hauteur de celle dont avaient fait preuve les États‑Unis avec le New Deal – pourrait parfaitement correspondre au type de changement de paradigme tant attendu par le monde en développement … et dont les pays de l'OCDE en général ont terriblement besoin.

 

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Initialement publié le 31 janvier 2020 sur le site Development Matters de l'OCDE

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Filippos Pierros est Ministre conseiller, Vice‑Président du Comité d'aide au développement et du Comité directeur du Centre de développement de l'OCDE, membre de la délégation de l'UE auprès de l'OCDE. Les opinions exprimées dans cet article reflètent strictement celles de l'auteur.

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