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La troisième révolution industrielle (3RI) est peut‑être celle qui a le plus permis à l'Afrique de démontrer qu'elle était capable d'accélérer son développement durable. Tout comme les révolutions industrielles précédentes, la 3RI s'est répercutée sur la division internationale du travail. Petit à petit, l'Afrique et plusieurs économies périphériques – qualifiées ainsi en raison du fait qu'elles étaient des sources traditionnelles de matières premières – se sont fait une place dans la concurrence fondée sur le savoir, qui est caractéristique de la 3RI.
L'intégration des technologies informatiques au niveau des entreprises et l'adoption croissante du numérique, surtout Internet et l'ensemble des technologies de l'information et de la communication, démontrent concrètement la puissance intellectuelle de l'Afrique dans le domaine du numérique.
L'Afrique étant le plus jeune continent du monde, la majorité des Africains sont "nés à l'ère numérique". Certaines parties du continent abritent d'importantes plates‑formes technologiques et des entreprises en démarrage propulsées par la jeunesse africaine, dorénavant prête à bouleverser l'ordre établi et à faire entrer l'Afrique dans l'histoire de l'innovation.
L'économie mondiale entre actuellement dans l'ère de la quatrième révolution industrielle (4RI). Pour les analystes, la 4RI est un amalgame technologique dont les contours physiques, numériques et biologiques ne sont pas bien définis. Elle se caractérise par des applications des technologies numériques exponentielles avec une migration sans précédent dans tous les domaines industriels et lieux géographiques, ce qui donne lieu à des perturbations dans les systèmes de production, de consommation, de commercialisation, de gestion, d'entrepreneuriat, de gouvernance ainsi qu'au sein des cultures sociales et d'entreprises. Certaines ont notamment donné naissance aux effets de réseau portés par le numérique et à l'Internet des objets.
La valorisation des données se trouve au cœur de la 4RI, ce qui multiplie les façons de les utiliser et donne lieu au débat en cours concernant leur accessibilité et leur statut en tant qu'actifs propres et biens publics mondiaux tout à la fois. On associe dorénavant la 4RI à l'intelligence artificielle, à la robotique, à la conception et l'impression en 3D, aux mégadonnées, à la monnaie virtuelle et à la technologie de la chaîne de blocs, par exemple.
Positionner l'Afrique dans la quatrième révolution industrielle
Dans la 4RI, le principal défi de l'Afrique est d'exploiter, d'optimiser et de diffuser les progrès importants qu'elle a accomplis pendant la 3RI. Selon Alex Liu, l'avenir de l'Afrique se trouve davantage dans l'innovation de type 4RI que dans le vieux modèle d'industrialisation. Avec un taux impressionnant de 13% au‑dessus de la moyenne mondiale concernant le taux d'activité entrepreneuriale en phase de démarrage, il y a de bonnes chances que l'"Afrique ait définitivement saisi la promesse de la 4RI".
"[P]lus de 400 plates‑formes technologiques ont surgi à travers le continent; Lagos, Nairobi et Le Cap sont en voie de devenir des centres technologiques de réputation mondiale. Ces villes abritent dorénavant des milliers d'entreprises en démarrage ainsi que des incubateurs, des accélérateurs, des plates‑formes d'innovation, des espaces de fabrication, des parcs technologiques et des espaces de travail collaboratif pour les accompagner."
Pour tirer parti de cette tendance, deux facteurs sont essentiels.
Le premier est la capacité du continent à conclure des partenariats stratégiques en matière d'innovation et de développement durable. C'est possible au titre de l'objectif 17 des Objectifs de développement durable (ODD) et du Programme à l'horizon 2030. Le deuxième est qu'il y ait une volonté collective sur le continent d'aborder la protection de la propriété intellectuelle avec flexibilité et d'instaurer une culture qui privilégie l'innovation, en s'inspirant du partenariat de l'Open African Innovation Research.
Renforcer les partenariats pour l'innovation en Afrique
L'ODD 17 vise à renforcer les moyens de mettre en œuvre et de relancer le partenariat mondial pour le développement durable. Il est nécessaire de créer des partenariats stratégiques et coordonnés aux niveaux sous‑régional, régional et mondial en mettant l'accent sur la meilleure manière de coordonner l'innovation en Afrique.
D'après le Rapport 2018 Readiness for Future Production du Forum économique mondial, en dépit de la prévalence des plates‑formes technologiques et d'une capacité ou d'un potentiel d'innovation, d'autres facteurs sont essentiels, comme des structures institutionnelles, des compétences appropriées, des incitations concurrentielles en matière d'investissement et de commerce, et une demande durable.
Malgré les résultats impressionnants de l'Afrique concernant les entreprises en démarrage dans le domaine technologique, les efforts déployés à l'échelle du continent restent fragmentés et ne sont pas coordonnés. En conséquence, les entreprises qui démarrent dans le secteur des technologies enregistrent un taux d'échec supérieur à la moyenne.
En plus du soutien apporté par l'Union africaine à la zone de libre-échange continentale africaine, adoptée en 2018, d'autres initiatives telles que le fonds pour l'infrastructure Africa50 et Africa Growth Platform sont des catalyseurs tactiques potentiels de mobilisation des partenariats public‑privé en vue d'aborder l'écosystème de l'innovation du continent d'une manière plus coordonnée et intégrée qui pourrait tirer profit du potentiel transformateur de la 4RI.
L'objectif 17 est sans doute l'ODD qui suscite le moins de discussion, mais c'est lui qui cimente les 16 autres objectifs. Il est au centre de leur mise en œuvre individuelle et collective.
Sa cible en matière de technologie est de "renforcer l'accès à la science, à la technologie et à l'innovation et la coopération Nord‑Sud et Sud‑Sud et la coopération triangulaire régionale et internationale dans ces domaines et améliorer le partage des savoirs […] en coordonnant mieux les mécanismes existants […] et dans le cadre d'un mécanisme mondial de facilitation des technologies".
L'Afrique devrait en priorité entrer en contact avec des partenaires multilatéraux conformément à l'ODD 17, afin de créer des partenariats qui amélioreront la capacité du continent à optimiser ses atouts et les possibilités offertes par la 4RI.
Priorité régionale coordonnée autour de la flexibilité de la propriété intellectuelle
Le deuxième facteur essentiel à la position stratégique de l'Afrique dans la 4RI se rapporte à la propriété intellectuelle et aux autres formes de gestion du savoir. Les pays africains continuent de subir des pressions pour qu'ils s'engagent à renforcer davantage la protection de la propriété intellectuelle alors que les modèles d'innovation ouverts et concertés prennent de plus en plus d'importance.
Jamais auparavant l'Afrique n'avait eu à faire preuve de flexibilité en matière de propriété intellectuelle. La flexibilité en matière de propriété intellectuelle permet de veiller à ce que les exceptions et les limitations la concernant libèrent un manque artificiel de renseignements et de biens cognitifs qui constituent une richesse essentielle pour la production des savoirs collaboratifs dans la nouvelle ère industrielle.
Les données sont la matière première qui alimente la 4RI. L'analyse des données est un moteur essentiel de l'intelligence artificielle et de l'apprentissage automatique. Il est nécessaire de faire preuve de flexibilité en matière de droit d'auteur pour "mettre au point des techniques novatrices d'analyse de données sans embargo de la part des titulaires des droits d'auteur". Cependant, les titulaires de droits d'auteur transnationaux continuent de s'opposer à la flexibilité des lois relatives à la propriété intellectuelle et au système du droit d'auteur dont ont besoin les innovateurs africains pour accéder aux données et les déployer de façon malléable dans la 4RI.
D'après Andrew Rens, les techniques de localisation des données innovantes alimenteront l'intelligence artificielle locale en Afrique et feront progresser l'intérêt de l'Afrique dans la 4RI. Cependant, aux niveaux international et national, l'intérêt de l'Afrique concernant la flexibilité des exceptions au droit d'auteur et des limitations de ce droit se heurte à une forte résistance de la part des pays développés.
C'est le cas au Comité permanent du droit d'auteur et des droits connexes de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Au niveau national, l'Afrique du Sud – qui est peut‑être le seul pays africain à avoir une politique spécifique sur la 4RI – a mis la réforme du droit d'auteur au premier plan. Les industries traditionnelles et les intermédiaires responsables du contenu s'opposent toutefois au projet de modification de la loi sur le droit d'auteur.
Sans ces flexibilités, l'Afrique du Sud, pour ne pas dire l'Afrique, deviendra "une source de données brutes, traitées dans des pays suffisamment perspicaces pour faire preuve de flexibilité en matière de droit d'auteur".
Projections
Pour mettre efficacement les progrès que l'Afrique a accomplis en matière d'innovation depuis la 3RI au service de la 4RI, il est important que le continent tire parti de la promesse de l'ODD 17 de chercher à créer de nouveaux partenariats et qu'il assure une coordination efficace de son jeune secteur de l'innovation. Le souhait du continent d'aborder la question de la propriété intellectuelle avec flexibilité et pragmatisme, particulièrement en ce qui concerne les flexibilités en matière de droit d'auteur, doit être coordonné et devenir une priorité nationale de première importance.
Alors que l'Afrique est à la recherche de ce genre de partenariats et élabore des stratégies en matière de propriété intellectuelle, il est nécessaire de veiller à ce que les avancées faites par le continent dans le nouveau domaine du numérique et son repositionnement pour la 4RI donnent la priorité à la diffusion et l'intensification des progrès actuels et à venir dans tout le continent. Les progrès accomplis par l'Afrique en matière de technologie et d'innovation, et son degré de préparation à la 4RI, sont inégalement répartis; ils n'ont pas encore eu d'incidence sur les pays les plus pauvres du continent.
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Chidi Oguamanam est professeur de droit et consultant à l'Université d'Ottawa.
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