11 juin 2019

Zone de libre échange continentale africaine: à l'aube d'une nouvelle ère

by David Luke Heini Suominen / in Nouvelles
  • La Zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECA) transformera la manière dont l'Afrique fait du commerce: les échanges intra‑africains devraient augmenter de 15 à 25%, et l'essor des échanges de produits industriels devrait accélérer la diversification des économies africaines.

  • Les pays les moins avancés africains faisaient partie intégrante des négociations ayant conduit à l'accord; on estime qu'ils enregistreront des hausses d'exportations intra‑africaines de produits industriels plus importantes que la moyenne.

  • Toutefois, les avantages inclusifs de la ZLECA dépendront étroitement de la mise en œuvre; les stratégies nationales de mise en œuvre seront déterminantes pour orienter l'Aide pour le commerce de manière à garantir que les partenaires d'Afrique contribuent à réaliser le potentiel de l'accord en matière de développement.  

Le 30 mai 2019, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) est entrée en vigueur, et le commerce dans le cadre de la ZLECA devrait être lancé début juillet 2019 à l'occasion d'un sommet spécial de l'Union africaine. Les négociations relatives à la deuxième phase de la ZLECA, couvrant l'investissement, la politique de la concurrence, les droits de propriété intellectuelle et, éventuellement, le commerce électronique, devraient débuter plus tard dans l'année.

Dépassant toutes les attentes, les pays africains sont en train de tracer une voie nouvelle en matière de politique commerciale à une époque marquée par le recul mondial des nouveaux engagements commerciaux.

Transformer le commerce en Afrique

La ZLECA – un accord qui traite aussi bien des marchandises que des services – transformera le commerce en Afrique. La justification principale de la ZLECA découle de la constatation empirique que le commerce intracontinental de l'Afrique est bien plus diversifié que son commerce à l'extérieur du continent. Pourtant, la part du commerce intra‑africain, qui se situait à 17% en 2017, est relativement faible, freinée par des droits élevés entre les blocs sous‑régionaux et d'innombrables obstacles non tarifaires.

La Commission économique pour l'Afrique (CEA) estime que le retrait des obstacles tarifaires entre les pays africains au moyen de la ZLECA augmenterait la valeur du commerce intra‑africain de 15 à 25%, les produits industriels représentant la majeure partie de cette augmentation.[1] D'ici à 2040, la part du commerce intracontinental pourrait être supérieure à 50% des exportations totales en fonction du degré de libéralisation.

Cela devrait par voie de conséquence contribuer au développement des chaînes de valeur régionales, à la création d'emplois dans le secteur industriel et à la hausse des revenus sur place. Ces gains commerciaux mettront davantage les pays africains en mesure de participer plus efficacement à des niveaux plus élevés des chaînes de valeur mondiales.

Les stratégies nationales à l'appui d'une mise en œuvre effective

On conçoit qu'un tel changement dans l'environnement en matière de politique commerciale soulève également des questions sur les gagnants et les perdants. Les grands pays ayant une économie diversifiée, par exemple l'Afrique du Sud et l'Égypte, seront bien placés pour retirer des avantages de l'accord.

Les pays les moins avancés africains (PMA) devraient également ressentir les retombées positives de l'accord. D'après la modélisation de la CEA, les PMA réaliseraient les gains les plus importants s'agissant de l'incidence sur l'industrialisation. De fait, alors que le secteur industriel représenterait en moyenne deux tiers des gains totaux découlant des exportations intra‑africaines, cette part atteindrait les trois quarts pour les PMA africains.[2]

La concrétisation de ces avantages estimés dépendra de la mise en œuvre effective de l'accord. C'est particulièrement le cas des objectifs de développement énoncés dans la ZLECA, notamment celui visant à "promouvoir et réaliser le développement socioéconomique inclusif et durable, l'égalité de genres et la transformation structurelle".

C'est pourquoi la CEA aide les pays signataires de la ZLECA à élaborer des stratégies nationales de mise en œuvre de l'accord en vue d'en favoriser l'application effective. Les stratégies nationales relatives à la ZLECA devraient également poser les fondements du dialogue avec les partenaires de développement. En 2017, l'Afrique a reçu 15,2 milliards de dollars EU de décaissements au titre de l'Aide pour le commerce, dont 7,1 milliards ont été versés aux PMA.[3]

L'Aide pour le commerce dans la nouvelle ère

Quelques recommandations peuvent être formulées pour garantir que l'Aide pour le commerce contribue à ce que l'Afrique entre de manière durable et inclusive dans une ère nouvelle en matière de politique commerciale.

En premier lieu, il est évident que plusieurs groupes tels que les femmes et la jeunesse font face à des obstacles majeurs dans leur accès aux marchés continentaux. Les interventions devraient être conçues de manière à assurer la capacité de ces groupes de tirer parti de la ZLECA. Une première étape viserait à partager des renseignements sur l'accord, à le promouvoir et à faire connaître les possibilités qu'il offre ainsi que les droits et devoirs qui en découlent. L'enquête réalisée dans le cadre de l'Examen global de l'Aide pour le commerce 2019 met aussi en évidence l'accès au financement et la nécessité de renforcer les compétences commerciales en tant qu'éléments propres à soutenir l'autonomisation des jeunes et des femmes grâce au commerce en Afrique.

En second lieu, il faut remédier aux obstacles structurels qui contribuent à l'existence des différents niveaux d'accès aux possibilités offertes et aux ressources. Bien que cette question ne relève pas strictement du champ de la politique commerciale, l'absence de mesures visant à réduire les inégalités dans l'éducation et l'accès à la terre, par exemple, risque de conduire à la concentration des avantages de l'accroissement du commerce dans des groupes socioéconomiques favorisés, ce qui renforcerait les inégalités et compromettrait l'effet transformateur de la ZLECA. L'Aide pour le commerce peut avoir pour but de soutenir l'examen des politiques nationales afin de garantir que ces politiques facilitent l'inclusion.

En troisième lieu, il convient d'appuyer le suivi des effets de la mise en œuvre de la ZLECA. La CEA, par exemple, se consacre à l'élaboration d'un outil de suivi, l'indice pays des entreprises de la ZLECA, pour suivre de près les effets de l'accord sur divers aspects, notamment les flux commerciaux, les changements structurels et l'inclusion. Les pays seront classés en fonction des résultats qu'ils obtiendront dans ces domaines. L'indice servira également d'instrument aux parties prenantes pour ouvrir un dialogue avec les décideurs, lesquels devront rendre des comptes sur la mise en œuvre de l'accord. L'Aide pour le commerce peut faciliter ce dialogue au moyen de projets renforçant la participation institutionnalisée des parties prenantes à la politique commerciale.

Enfin, si les décaissements au titre de l'Aide pour le commerce sont principalement destinés aux pays à titre individuel, il est possible de soutenir des projets qui favorisent les institutions, les capacités et la coopération transfrontières, ce qui aidera à cibler plus expressément le commerce intra‑africain et à garantir que les PMA tirent parti des avantages découlant de la ZLECA.

 

 

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[1] L'effet global est peut‑être sous‑estimé dans la mesure où la libéralisation des services et la réduction des obstacles non tarifaires n'ont pas été prises en compte dans la modélisation de la CEA.

[2] Mevel. S. (à paraître), An empirical assessment of AfCFTA modalities on goods.

[3] Sur la base des données pour l'Afrique issues de l'Examen global de l'Aide pour le commerce 2019 (CEA et OMC, à paraître). 

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* David Luke est coordonnateur et Heini Suominen économiste au Centre africain pour la politique commerciale de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique.

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Cette série a été financée par le gouvernement australien par l'intermédiaire du Département des affaires étrangères et du commerce. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement australien.

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