24 octobre 2019

Commerce éthique de produits naturels fondés sur les savoirs traditionnels

by Daniel F. Robinson Margaret Raven / in Nouvelles
  • Il existe des exemples de commerce durable, équitable et éthique de produits fondés sur les ressources naturelles et biologiques et les savoirs traditionnels.

  • Il peut s'agir de moyens culturellement appropriés, durables et accessibles de générer des revenus et des moyens d'existence pour les peuples autochtones et les communautés locales.

  • Les gouvernements et les communautés des pays les moins avancés utilisent le Protocole de Nagoya pour obtenir des avantages justes et équitables, ainsi que certains outils de propriété intellectuelle pour protéger et commercialiser leurs produits.

Conformément au Protocole de Nagoya de 2010 sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique (CDB), les pays appliquent ce régime international qui garantit que l'utilisation des savoirs traditionnels liés à la biodiversité pour la recherche développement donne lieu à une compensation juste et équitable.

Alors que certains secteurs, comme celui des produits pharmaceutiques, ont délaissé la découverte de médicaments naturels pour se concentrer sur la production de molécules de synthèses, d'autres secteurs ont pris de l'importance dans les domaines de l'accès et du partage des avantages (ABS) et des savoirs traditionnels. Les secteurs des produits cosmétiques et des soins de la peau, des compléments à base de plantes, des produits "nutraceutiques" et des nouveaux aliments, ainsi que les secteurs connexes, semblent plus susceptibles d'adopter et d'utiliser des stratégies de commercialisation pour mettre en avant les utilisations qu'ils font des savoirs traditionnels relatifs aux produits naturels à base de plantes ou même d'origine animale.

Ces secteurs peuvent jouer un rôle important pour les peuples autochtones et les communautés locales et offrir une source de revenus et de moyens d'existence culturellement appropriée. Toutefois, il est important qu'ils génèrent des avantages appropriés et une rémunération équitable et que les peuples autochtones puissent "ajouter de la valeur" aux matières premières et protéger leurs savoirs traditionnels.

Savoirs autochtones ou traditionnels

Il est largement reconnu que les savoirs traditionnels des peuples autochtones et des communautés locales jouent un rôle important dans le développement de produits naturels tels que les médicaments, les produits de soin pour la peau et le corps, les produits alimentaires et les boissons, ainsi que les produits destinés à d'autres usages tels que les fibres.

Ces savoirs sont parfois largement diffusés et bien connus ou détenus par de nombreuses communautés, mais il peuvent aussi être détenus localement ou tenus secrets, voire sacrés dans certains cas. Cette connaissance de la nature se transmet également par des chansons, des récits, des œuvres d'art ou le folklore et est souvent désignée par le terme "expressions culturelles traditionnelles".

Par ailleurs, on entend souvent que les savoirs autochtones se perdent à cause des effets du colonialisme, de la modernisation, de l'évolution des modes de vie et de la mondialisation. Si ces savoirs ne sont pas transmis au sein des familles ou des communautés, il arrive qu'ils disparaissent à mesure que les aînés et les détenteurs de savoirs s'éteignent. Cela constitue une perte, non seulement pour ces communautés, mais aussi pour la société dans son ensemble.

Valoriser les contributions autochtones à l'innovation

Des efforts sont déployés dans un certain nombre d'instances internationales, non seulement pour protéger les savoirs traditionnels contre toute "appropriation illicite", mais aussi pour aider à valoriser de manière juste et équitable les contributions des innovations et des savoirs autochtones à la valorisation des produits sur le marché mondial.

Le Protocole de Nagoya et la CDB contribuent à la reconnaissance de ces contributions grâce à un système de partage juste et équitable des avantages lorsque des ressources génétiques (généralement des composants d'origine végétale et animale ou des microbes) sont utilisées pour la recherche et le développement de produits qui sont alors souvent brevetés ou protégés par une marque pour en protéger la valeur ajoutée.

Outre le Protocole de Nagoya, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) est dotée d'un Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC), qui s'emploie à élaborer d'autres instruments juridiques pour protéger et promouvoir les savoirs traditionnels. Par ailleurs, à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), certains pays cherchent à inclure des freins et contrepoids dans les divulgations faites par les déposants de demandes de brevets dans les cas où il peuvent avoir utilisé des ressources génétiques ou biologiques et des savoirs traditionnels connexes dans leurs innovations.

Les négociations menées à ce sujet dans le cadre de l'IGC de l'OMPI et de l'OMC sont toujours en cours. Le Fonds de contributions volontaires de l'OMPI a été créé et est utilisé pour soutenir la participation de représentants des peuples autochtones et des communautés locales aux négociations menées au sein de l'IGC; de plus, la plupart des pays les moins avancés sont des États membres de l'OMPI et peuvent ainsi assister et contribuer aux négociations qui façonnent la politique mondiale relative aux savoirs traditionnels.

Exemples de chaînes de valeur établies et émergentes

Il existe quelques exemples de chaînes de valeur établies fondées sur des savoirs traditionnels liés aux végétaux et à leurs produits dérivés. Actuellement, la demande internationale de produits de soin pour la peau et les cheveux à base d'huile d'argan issue de l'arganier marocain (Argania spinosa) explose. Cette huile est traditionnellement utilisée depuis près de 1 000 ans par les femmes berbères (Amazighs) au Maroc, où cet arbre est endémique. Des coopératives de femmes ont été créées pour aider les femmes amazighs à tirer parti de cette valeur ajoutée grâce au développement des infrastructures et à l'amélioration de la qualité, ainsi qu'au développement de produits – par exemple en élaborant des crèmes, savons et shampooings prêts à l'emploi plutôt qu'en vendant simplement des huiles. Ces coopératives bénéficient souvent de programmes de commerce équitable, de matériel offert par les donateurs et d'accords de partage des avantages, tandis que d'autres produits à base d'huile d'argan sont élaborés par les industries des produits cosmétiques et des soins de la peau.

 

nangai nuts

Le nali ou nangai (Canarium indicum) est présent dans certains pays du Pacifique Sud tels que le Vanuatu, le Samoa et les Îles Salomon. (Photo ©Daniel Robinson) 

 

Dans d'autres parties du monde, il existe des chaînes de valeur émergentes pour les peuples autochtones et les communautés locales, comme celles fondées sur la demande de dilo, ou tamanu (Calophyllum inophyllum), et de nali, ou nangai (Canarium indicum), que l'on trouve dans les pays du Pacifique Sud tels que le Vanuatu, le Samoa, les Îles Salomon et la Papouasie Nouvelle Guinée. Les pays s'appuient sur des programmes de développement des capacités tels que l'Access and Benefit Sharing Capacity Development Initiative (Initiative pour le développement des capacités en matière d'accès et de partage des avantages – Initiative ABS) pour établir de meilleurs accords concernant la fourniture d'extraits d'huiles brutes et garantir le partage des avantages lorsque des activités de recherche développement sont menées.

Autre exemple: la prune de Kakadu (Terminalia ferdinandiana) – qui possède la plus grande teneur en vitamine C de tous les fruits –, laquelle est utilisée comme additif alimentaire, ainsi que dans les cosmétiques et d'autres produits pour ses propriétés antioxydantes. Plusieurs entreprises autochtones détenues et dirigées par des autochtones de régions reculées du Nord de l'Australie s'emploient actuellement à développer le secteur, avec le soutien de l'Indigenous Land and Sea Corporation. Ces entreprises ont déclaré qu'il était important que les peuples autochtones exercent un contrôle sur la prise de décisions concernant leurs chaînes de valeur et qu'ils puissent valoriser et protéger leurs propres innovations et produits.

Mécanismes de protection et de promotion des savoirs traditionnels

Le rôle que continuent de jouer les peuples autochtones et les communautés locales et l'importance des savoirs traditionnels et locaux ont été reconnus dans le document de travail de la CDB pour l'après-2020, qui expose les concepts pertinents et invite à présenter des communications sur le cadre mondial de la biodiversité pour l'après 2020.

Il est important de valoriser, de protéger et de promouvoir comme il se doit les savoirs des peuples autochtones et des communautés locales afin de soutenir les moyens d'existence, de contribuer à la protection de l'environnement et de préserver les cultures. L'utilisation de cette connaissance des végétaux et des animaux pour la recherche et le développement de nouveaux produits devrait donner lieu à un partage juste et équitable des avantages qui en découlent; il existe là des possibilités, pour les peuples autochtones, de valoriser leurs produits et de mener des initiatives afin de les commercialiser.

Bien que des outils de propriété intellectuelle tels que les brevets – qui peuvent être détenus conjointement dans le cas de partenariats – puissent être utilisés, d'autres mécanismes peuvent permettre de protéger et de promouvoir les savoirs traditionnels, comme ceux actuellement examinés au sein de l'IGC de l'OMPI.

 

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Daniel Robinson est professeur associé à l'Université de Nouvelle Galles du Sud (Australie) et directeur régional pour le Pacifique dans le cadre de l'Initiative ABS. Il a corédigé l'ouvrage Protecting Traditional Knowledge: The WIPO Intergovernmental Committee on Intellectual Property and Genetic Resources. Margaret Raven est chercheuse en sciences sociales à l'Université de Nouvelle Galles du Sud (Australie). 

Credits

Header image of Haitians playing basketball - ©UN Photo/Logan Abassi via Flickr Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-NC-ND 2.0) license.

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