En effet, la corrélation entre la progression économique et la progression sociale par le biais des CVM n'est pas automatique. Quels types de politiques sont nécessaires pour promouvoir le renforcement du bien-être social dans les pays à faible revenu?
Les politiques complémentaires classiques en matière de commerce s'appliquent aussi aux CVM. Les politiques d'ajustement de la main‑d'œuvre sont très importantes en raison des conséquences relatives à la répartition. On peut mentionner par exemple l'assurance chômage, ainsi que les politiques volontaristes relatives au marché du travail, qui aident les travailleurs à trouver de nouveaux emplois. Ces politiques sont plus abordables dans les pays avancés, mais elles y sont probablement aussi plus nécessaires, en raison de la rapidité du changement en faveur de travailleurs plus qualifiés, qui est davantage dû aux technologies qu'au commerce. Pour les pays en développement, la mobilité de la main‑d'œuvre est très importante car les CVM et la croissance ont souvent tendance à être assez concentrées. Les travailleurs doivent être capables de se déplacer pour bénéficier des possibilités offertes.
Dans le même ordre d'idées, pouvez-vous partager certaines des conclusions concernant la manière dont la participation aux CVM affecte le travail des femmes dans les pays en développement?
Nous constatons que les CVM emploient davantage de travailleuses que les entreprises manufacturières qui ne sont pas intégrées aux CVM. Il existe un effet de création d'emplois qui a des répercussions considérables sur les femmes peu qualifiées et leurs familles. Néanmoins, nous constatons aussi que les CVM ne permettent pas de briser le plafond de verre. Si les femmes sont plus susceptibles de travailler dans la production dans le cadre des CVM que dans d'autres entreprises similaires, elles sont aussi moins susceptibles d'être propriétaires ou d'occuper des postes élevés.
S'agissant de l'environnement, existe-t-il des domaines dans lesquels les politiques liées aux CVM peuvent contribuer à répondre à certains des problèmes urgents auxquels nous sommes confrontés?
Le va‑et‑vient des marchandises est source de grande préoccupation. Les émissions de carbone provenant des expéditions de marchandises représentent environ 2% des émissions mondiales et sont en augmentation. L'autre préoccupation qui est souvent soulevée est la question de la fuite de carbone, c'est‑à‑dire le fait de déplacer les activités les plus polluantes vers les pays dont la réglementation est laxiste. C'est un problème moins grave car l'avantage comparatif dépend d'autres facteurs. La troisième préoccupation, qui est peut‑être la plus inquiétante, concerne les déchets résultant de l'augmentation de la production et de la consommation de marchandises toujours moins chères.
Les considérations politiques qui exacerbent ces préoccupations sont liées à la sous‑évaluation des subventions aux combustibles et à la production. Dans un monde fondé sur les CVM, le subventionnement par un pays des combustibles ou d'un secteur de production aura des conséquences qui vont au‑delà de ses frontières. Dans une certaine mesure, les distorsions sont amplifiées.
Néanmoins, il est important de mentionner que les CVM ont aussi des effets bénéfiques pour l'environnement. Les consommateurs et les producteurs ont accès à plus de biens environnementaux à des prix plus bas (par exemple les panneaux solaires). Nous constatons aussi que les grandes entreprises ont tendance à soutenir des normes environnementales plus strictes sur leurs chaînes de valeur en raison des attentes des consommateurs, ce qui est un autre aspect de la dimension relationnelle. Enfin, de manière plus large, le commerce encourage le monde à utiliser les ressources plus efficacement, un parfait exemple étant celui de l'agriculture et du commerce de l'eau virtuelle des pays où l'eau est abondante vers ceux où elle est rare.
Pour résumer, les effets sur l'environnement sont contradictoires et selon nous, la meilleure manière de les gérer est de bien comprendre les signaux des prix. La première étape consiste à supprimer les subventions aux combustibles ou à la production qui encouragent la surcapacité et l'utilisation d'hydrocarbures. Une autre étape consiste à taxer la pollution en conséquence pour que les externalités environnementales soient prises en compte dans l'établissement du coût des marchandises. Par exemple, les taxes carbone contribueraient à réduire les émissions résultant de la production et du transport excessifs.
Selon vous, quel rôle la coopération internationale peut-elle jouer en ce qui concerne les politiques et la réglementation relatives au commerce en vue d'aider les pays à faible revenu à bénéficier de la participation aux CVM?
La coopération internationale est fondamentale pour garantir l'ouverture et la prévisibilité de l'environnement des politiques commerciales. Les CVM ont connu un formidable essor dans les années 1990 et au début des années 2000 en partie en raison du faible niveau des droits de douane, qui étaient limités par les engagements internationaux pris par les pays avancés et les réductions tarifaires établies par les pays en développement. Les accords commerciaux régionaux soutenaient aussi le développement de liens régionaux particulièrement étroits. La libéralisation commerciale peut encore être poursuivie dans les pays avancés, en particulier en ce qui concerne les produits agricoles et les produits alimentaires transformés, domaines dans lesquels les droits relativement élevés empêchent les pays en développement de s'intégrer aux dernières étapes de production.
Les politiques adoptées en réponse dépendront du type de CVM, qui peuvent être divisées en trois catégories: CVM liée à l'agriculture et fondée sur les ressources, CVM liée aux activités de fabrication simples et CVM liée aux activités de fabrication plus complexes. Les pays qui participent aux CVM liées à l'agriculture et fondées sur les ressources ont tendance à être confrontés à des coûts du commerce plus élevés. L'amélioration de cette situation par le biais d'accords d'intégration comme l'Accord de libre‑échange continental africain et la mise en œuvre des mesures de facilitation des échanges sera bénéfique. Lorsque les CVM sont plus complexes, il devient important de conclure des accords commerciaux plus profonds, traitant de questions comme l'investissement et les normes.
L'un des nouveaux domaines de politique sur lesquels le rapport est axé sont les données. Les futures CVM pourraient être organisées de plus en plus autour des entreprises plates‑formes. Les progrès en matière de technologies de la communication et de transport ont permis l'établissement des CVM existantes; la prochaine étape est celle des entreprises plates‑formes et des vastes quantités de données créées. À cet égard, il faut trouver un compromis entre l'innovation et la protection de la vie privée, et il existe aussi des préoccupations concernant la concurrence.
Un autre domaine important est celui de la politique fiscale. Le capital étant très facile à déplacer et une grande part des bénéfices provenant d'activités comme la recherche‑développement et les brevets, il est beaucoup plus difficile d'imposer les entreprises dans le cadre des CVM. Il est essentiel de coopérer en matière d'imposition, en particulier dans les pays en développement qui ont besoin de ressources pour mettre en place les politiques d'ajustement de la main‑d'œuvre évoquées plus tôt.
Pour conclure sur le thème de la coopération, comment l'Aide pour le commerce peut-elle contribuer à équiper les pays les moins avancés pour les futures CVM?
L'Accord sur la facilitation des échanges de l'Organisation mondiale du commerce dispense certains enseignements en matière de coopération et de répartition des gains. Les pays en développement peuvent mettre en œuvre l'Accord à leur propre rythme et un soutien est apporté par les pays avancés. C'est un moyen efficace de répondre aux problèmes de coordination qui affectent les CVM.
Le modèle peut être élargi à d'autres domaines comme celui des normes. Pour les pays en développement, le fait de se heurter à des obstacles techniques aux normes sanitaires et phytosanitaires peut représenter une difficulté. Une assistance supplémentaire en ce qui concerne l'établissement des organes adéquats, l'accès aux renseignements, l'acquisition des technologies adaptées et la certification des produits contribuerait à renforcer la participation aux chaînes de valeur.
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Cette série a été financée par le gouvernement australien par l'intermédiaire du Département des affaires étrangères et du commerce. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement australien.